mardi 27 novembre 2007

Peter Hammill – Enter K (1982)



« Se réveiller par un froid matin d’automne, dans une lumière jaunâtre. Passer à travers la fenêtre presque fermée et alors qu’on est encore devant les vitres, avant de tomber, planer les bras étendus, le ventre bombé, les jambes repliées en arrière comme les figures de proue sur les vaisseaux de jadis »
Franz Kafka – Journal

Les disques de Peter Hammill sont ainsi, sinistres ; il y règne continuellement une ambiance comme après une périlleuse tornade. Des choses ravagées et de la mauvaise humeur. Une tentative toujours recommencée de se désunir des autres. Tout cela est regrettable, car le contraire de la vie (selon mon voisin fou du dessus) et Peter Hammill est souvent infréquentable et lugubre... Un David Bowie loser (et donc réussi) qui trimballe sa voix et ses impressions amères du coté de l’enfer… un enfer de plus en plus enfoncé.

Bon malgré tout cela ne faiblissons pas et entrons courageusement dans Enter K…. Et bien voyez-vous inopportunément nous ne faiblirons pas, car Enter K n’est pas un très bon disque. Il y règne un son et une ambiance trop eighties pour être honnête, c’est même pour tout dire l’un des disques les moins cafardeux de Peter Hammill. Pas un disque immense donc, mais (parce qu’il y a un mais) un disque porté par une chanson immense « The Unconscious Life » : grande gymnastique vocale où notre ratiocineur en chef lutte avec un saxophone pas trop toc, du Roxy Music puissance mille, la plus grande chanson de Peter Hammill ? Le reste manque de bruits, ces bruits qui réduisent tout à néant. Douleur et bruits sont une seule et même chose et nous aurons beaucoup de scrupules à passer à travers la fenêtre dans cette lumière jaune d’automne.

dimanche 25 novembre 2007

Le Degré zéro de l'écriture



Monsieur. Hermès préfère vivre, moi je reste avec et dans les livres. Vivre par procuration c’est vivre aussi. Monsieur Hermès n’est jamais avec et dans les livres. Je pense qu’il voudrait être moi parfois Monsieur. Hermès, moi et tous ces types dans les livres. Moi je ne voudrais jamais être lui avec tous ces gens là, réels probables et palpables, tout est compliqué..

Je voudrais me secouer de ce grand sommeil que ne connaît pas Monsieur Hermès, oh ! non pas pour atteindre une existence heureuse et lucide, non, mais plutôt pour faire un effort croissant et jamais confirmé par aucun résultat évident. Ce sera mon but, ce manque de résultat évident.. .

Monsieur Hermès n’est pas un homme d’intérieur, d’une certaine façon moi non plus. Je tends toujours à sortir de moi-même. J’aime me souvenir et la mémoire me conduit vers la réalité. Je me penche sur moi-même et je tire l’eau d’un puits vide qui se remplit si je me détourne de lui.

Je perçois ce bruit qui ne s’arrêtera plus, tout en accusant une curieuse variété, au profond d’une monotonie sans nom. Ce bruit d’une éternité, un trépignement confus, le bruit du monde, il y a des bruits autrement plus agréables.

vendredi 16 novembre 2007

Mickey Newbury - She Even Woke Me Up to Say Goodbye



Mickey Newbury est surtout connu pour « An American Tragedy» fameuse montée en neige sur la guerre de sécession par laquelle sous les falbalas de Vegas Elvis Presley terminait toutes ses prestations post cuir. La postérité est bien injuste car même si Presley est toujours immense - un christ boudiné dans un linceul de lumière (le fameux jumpsuit)- même si « An American Tragedy» pourrait aisément remplacer le « Star-Spangled Banner » Mickey Newbury vaut pour beaucoup plus que tout ça. Tout d’abord pour une vie bien remplie… GI avec Kris Kristofferson (Pilote d’hélico !)… pécheur de crevettes dans le golfe du Texas… artisan song writer à Nashville… Ensuite il y a ces disques souvent beaux et mélancoliques, toujours lyriques (Frisco Mabel Joy, Heaven Help the Child) il y a ces mots (Newbury est un « écrivain » de chansons) il y a cette voix (Profonde et sentimentale). En cherchant bien ici et là on trouve quelques traces de notre oiseau « An American Trilogy » évidemment, mais aussi sa dernière prestation en public, bouleversante, où derrière les manques d’une voix partie il reste beaucoup.. de l’humour.. pas de regrets... jamais de regrets… Il y a aussi cette version de « She Even Woke Me Up to Say Goodbye » calme tranquille où le lyrisme est contenu , chanson écrite pour Jerry Lee Lewis, lui qui est toujours vivant, terriblement vivant …

Mickey Newbury - An American Trilogy
Elvis Presley - An American Trilogy
Mickey Newbury - Final Performance
Jerry Lee Lewis- She Even Woke Me Up to Say Goodbye

lundi 12 novembre 2007

Et c’est ainsi que Chevillard est grand



« Et voici le solide orang-outan qui se défait comme un nuage, qui se déforme et se délite. On le savait élastique mais pas au point de s’étirer aux dimensions du ciel et de perdre à force substance et épaisseur jusqu’à devenir tout à fait diaphane, transparent, cette buée, ce flocon, cette fumée rousse qui s’effiloche, c’était l’orang-outan, cette ombre blanche qui s’étend sur toutes choses comme un suaire, quelle ombre blanche ? Comment la voir ? C’était lui. »

Comment vivre sans Eric Chevillard ? Imaginez, imaginez ce beau merdier, ce chaos pas uni du tout, ces flots de littérature lactescente, blafardes vaguelettes brisées sur les récifs des moi(s) les plus divers et avariés ? Bref imaginez le pire ! Vivre sans Eric Chevillard serait comme vivre sans bras ni jambes, chose peu commode ennuyeuse et pour tout dire entraînant la pénible compassion d’une humanité constamment aux aguets … Nous disposerons donc du loisir de continuer de vivre, jambes et bras puisque Chevillard est encore là. Nous aurons toute raison de résister au pire car même sur sa seconde main notre homme de minuit est toujours drôle, cocasse, inénarrable, vu que oui voyez-vous le quidam médianoche est ambidextre, et ambidextre c’est beaucoup.
Les esprits retors et chagrins rétorqueront doctement que rien de nouveau sous le soleil de la cocasserie… que ce vague conte philosophique autour des primates n’est que du Vialatte étiré sur 160 pages… que Vialatte est un bon sprinter mais qu’il se délite sur la longueur (comme l’orang-outan), … que Vialatte oui… mais une chronique le matin… une le midi et une au couché sinon le charme n’opère plus. Les esprits roués auront peut-être raison, encore faudrait-il qu’ils relisent sereinement « les Fruits du Congo » long roman brumeux comme mon bras où l’homme de la montagne (Vialatte donc tas d’ignares) galope comme vers Marathon sans trépasser sur la fin.

« Nos bras étaient plus longs que nos jambes, poursuit le coach, j’en déduis raisonnablement que nous n’avions d’autre relation au monde que l’étreinte. »

Si Vialatte est « l’homme de la montagne » L’orang-outan (ou orang-outang)(Pongo pygmaeus) lui est (en malais) «l’homme de la forêt.» Quand dans une seconde partie belle comme la pierre de Francis Ponge, Chevillard fait disparaître notre délicat anthropoïde et bien voyez-vous plus rien n’est enlacé ! Plus rien ne redescend de la montagne, plus rien ne rebondit dans la forêt. Sans l’orang-outang tout redevient antédiluvien car l’homme sans l’orang-outan est antédiluvien. Tout redevient lourd et frôlant la consternation et le bourdon. Le dernier soupir de l’orang-outan à éteint la belle flamme rousse et il n’est resté de lui qu’un petit tas de cendres dispersé au vent mauvais des terres abandonnées. Un pilier d’ombre c’est levé et sous cette obscurcissement un croassement sinistre monte, le Hurlant hurle. Le Hurlant drôle de bestiole descendue et ne bondissant pas d’on ne sait où. Peut-être de chez Kafka ? Le Hurlant ferait un Odradek terriblement plausible, et l’homme malgré ses peaux de bêtes de trembler devant le Hurlant.
Donc chemin sinueux, mais chemin limpide. La fausse rigueur scientifique de Robert Benchley, Francis Ponge (oui il y a du Ponge chez Chevillard) Vialatte (l’homme de la montagne) Kafka (ce qui n’est pas rien) et Beckett (ce qui est beaucoup dans le moins.) Dans une troisième partie Chevillard et son narrateur Albert Moindre réinventent l’homme en orang-outan, apprentissage périlleux, il faut apprendre pour mieux enlacer et ce au risque de tomber tête bêche à même le sol. Il y aura donc comme des pendus des promesses d’orang-outan accrochées aux branches. Fruits étranges, quatre moignons levés en grimaçant. Ces promesses d’orang-outan ne seront plus anthropopithèques hominisées quand elles sauront faire avec les tigres et les Hurlants. Tâche périlleuse…

Malheur à celui qui recèle des déserts
Il est urgent de faire naître des îles
Et c’est ainsi que Chevillard est grand.

Le blog d'Eric Chevillard