vendredi 25 janvier 2008

Rick Saucedo - Heaven Was Blue (1978)



La recette est simple. Tout d’abord écouter, c’est un minimum. Ecouter le disque et attendre. Ensuite plus que ce qui se dégage , voir ce qui du disque ouï reste vraiment. Oublier le punctum de Roland Bathes , il ne sera jamais ici question d’image et de cet au-delà de la netteté, nous sommes dans la musique et la musique est souvent atrophiée de la netteté. Prendre alors ce qui reste pour une acmé, à l’extrême rigueur une valeur-limite qui pince le brouillard… là en l’occurrence un type sans tuba immergé sous un gros grain lysergique. Trois titres assez beaux (Pale Saints avant l’heure légale) et deux titres inaudibles, voilà ce n’est pas sorcier.

Nb : Rick Saucedo est à présent l’un des meilleurs sosies du King sur la place de Vegas

vendredi 18 janvier 2008

Psychogeographie indoor (4)

« Un livre dans lequel l’univers n’aurait pas sa place n’en serait pas un ; car il serait un livre auquel il manquerait les plus belles pages, celles de gauche dans lesquelles se mire jusqu’au plus obscur caillou. » (Edmond Jabès)


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Chose inexplicable et inexpliquée, ma bibliothèque possède une curieuse propriété, la nuit tombée, elle absorbe les livres, ils disparaissent ! C’est inquiétant, fâcheux et angoissant tout à la fois. Ce n’est donc pas sans un sombre pressentiment ; une lassitude quotidienne face à cette pénible habitude, que ce matin l’air hagard et un peu chiffonné par un sommeil insuffisamment réparateur, je me suis mis à la recherche des absorbés de la nuit.
Et bien pour cette fois, voyez-vous que parcourant songeur la suite de planches fonctionnelles découpées par le ténébreux scandinave Ivar Ikéa, je me suis trouvé devant ce fait accompli et irrévocable, « L’Amérique » de Kafka n’était plus là ! Imaginez, cet effroi inexpugnable, ces sueurs froides me saisissant comme l’esprit saisissant le footballeur... « L’Amérique » n’était plus là ! Alors qu’Alain Finkielkraut était toujours là ! Après un moment de stupéfaction, je cherchais une logique à ce perturbant mystère. Ma bibliothèque, toutes les nuits du dix-sept janvier, absorberait-elle dorénavant les livres inachevés ? Les livres de Franz Kafka ? Les livres sur et avec New York ? Assurément non, car « Le Château », et « Le Voyage au bout de la nuit » de l’azimuté de Meudon tout comme le « New York » de l’académicien Morand étaient encore là. Ma bibliothèque pour cette nuit s’était donc uniquement contentée d'ingérer les livres inachevés de Franz Kafka… avec New York dans le fond, l’Amérique quoi !

Tout était dans l’ordre des choses d’un fait inexpliqué qui s’installe, mon Earl Grey bu je retournais vers ma bibliothèque en quête d’un volume quelconque pour occuper la matinée. Et bien, voilà, sachez que stupeur et inexplicable coup de théâtre, le Kafka était à nouveau là ! Oui le Kafka, lui, mais plus à la même place ! Modeste folio coincé entre « Le Lys dans la vallée » et « l’Or » de Cendrars. Volume jauni avec sa couverture de Tardi qui est bien meilleur pour Céline. Ma bibliothèque n’ingurgite donc pas ! Elle déplace !

À demi soulagé j’ouvrais donc « L’Amérique », et au bout de sept lignes, stupéfaction encore, la statue de la Liberté ne portait plus un flambeau, mais une épée !


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Chez Kafka, la chose en fer d’Auguste Bartholdi soulève une épée. Mais Kafka ne cherche pas la vraisemblance. New York n’est qu’une toile de fond, du brouillard dans la brume. Kafka est ailleurs.
Chez Céline, dans « le voyage », et dans mes souvenirs, il n’y a aucune trace de cette petite tour Eiffel portant une robe. Il y a une ville raide qui émerge de la brume. Une ville droite, avec des « cornichons » qui rigolent devant.
Chez Morand et dans son « New York » à lui, Il n’y a pas de « cornichons » mais tout le reste, la statue, le brouillard, une métropole debout…un essai de mythologie, un pronostic futé sur l’avenir de la ville, un guide touristique, une chronique documentée, de l'anthropologie, une nouvelle véloce ; nerveuse tout en étant longue… Morand dans la grosse pomme, c’est le vers dans le fruit, un français à New York, une drôle de comédie ; musicale mais pas toujours. Mélodie au bonheur triste, étincelante et bruissante de mille lexies coruscantes. Un genre de must désinvolte délicieusement rapide et moderne (le téléphone, le cinématographe parlant, les paquebots et les ascenseurs, toutes ces choses-là..)

Morand est brillant, sec, nerveux, dégagé, mais informé, didactique, mais sans en faire trop En somme grand écrivain dans les pas d’un Chateaubriand. Toujours bon et plein d’intuitions, et à tous sujets… sauf que… hélas… Il est mauvais, et très, quand il est rattrapé par ses démons… sa haine du mélange… cette concise, mais bien présente gêne thirties qui pique l’estomac. Morand est plus raciste et antisémite que Hergé taillant la barbe du capitaine Haddock. Vous me direz que c’était la manie d’une époque moisie, que bon le style est là… mais non justement le style n’est plus là, car le racisme, chacun le sait use de stéréotypes et quel pire ennemi pour l’écrivain encore debout que le cliché ? Truisme et poncif sont dans un bateau, et le bateau ne coule pas… Chez Morand on passe de la félicité la plus absolue à la facilité la plus sinistre, on compare les noirs à des grands singes, les juifs à une indistincte cohorte d’être suintants et adipeux, tout cela avec bonhomie, raciste, mais paternaliste, antisémite, mais admiratif devant toutes ces coutumes singulières. Chez Morand il y a une angoisse du crochu, il voit des crochus partout, une haine irrationnelle de ce qu’il estime être courbé , un amour de La ligne supposée droite.. la ligne claire. Il faudrait écrire une thèse sur cette pathologie, le temps nous manque… Ce qui est encore plus triste chez Morand et presque pire que chez les autres (ouvrez la liste…) c’est que tout cela durera, et longtemps après l’abjection , bien longtemps.
Morand ? Un écrivain splendide tendre et émouvant, un beau salaud, pire que le toqué de Meudon, bien pire, car les mains toujours propres, le regard hautain et le sourire smart gentry au coin de l’ironie. Horrible constatation, j’adore ce salaud, j’adore le lire, je détourne parfois les yeux, mais je l’aime, ces livres sont encore là. Il n’y a personne pour les jeter dans un puits sans fond, morale de l'histoire ?


lundi 14 janvier 2008

Guy Chadwick - Lazy, soft and slow (1998)



Le paresseux est un mammifère d'Amérique tropicale. Un drôle de xénarthre qui fruit étrange et velu vie à l'envers suspendu dans les arbres. Il faut savoir, chose importante, que notre ami xénarthre se déplace avec une extrême lenteur. Il faut également savoir qu’il possède des griffes ahurissantes, mais affecte en permanence un air doux et serein. Néanmoins, le paresseux est souvent agacé par la présence sournoise de moult prédateurs plus prompts que lui ; le jaguar, l'ocelot, l'aigle harpie... bestioles sportives, cruelles et rapides. Alors que notre ami poilu somnole à bout de branche cette sinistre cohorte de ravageurs de xénarthres elle ne semble être motivée que par une efficacité toute libérale, mieux chasser pour être mieux rassasié, c’est la loi des tropiques encore un peu boisées, chasser plus pour être mieux rassasié, saloperie d’efficacité.
Vous le savez déjà le paresseux n’est pas qu’un mammifère édenté (à deux griffes et six vertèbres), c’est aussi un mot, avec de bienheureux synonymes : mou, souple, cotonneux, doux et tendre… Rien pour l’efficacité libérale tout pour le lymphatisme triomphant. D’ailleurs face au rendement généralisé il faut savoir grimper dans les arbres, c’est la seule attitude valable. Là à l’envers, tête-bêche, le sang reflue et le quidam, à l’instar du xénarthre, oublie tout, l’ocelot qui guette, le labeur rémunéré à qui mieux mieux, la morne productivité, le monde… et même voyez-vous la gravité.

Ah ! Oui le paresseux c’est aussi souvent un type qui en voulant parler d’une chose n’en parle pas vraiment, la paresse et le manque d’inspiration offrant alors un étrange mélange, un cocktail sucré et indolent, rohypnol palimpseste (flunitrazépam) le narcotique préféré du violeur de consciences.
Alors, imaginez ces phrases comme du rohypnol, regardez les bien en face, vous êtes encore là ? Non ? Alors, voilà me voilà et voilà un disque… c’est un disque formidable, un vrai disque de songwriter, avec des chansons et des mots paresseux, des mots doux et lents (procurez-vous les lyrics). Un disque merveilleux avec une chanson adhérente à l’âge d’or du bonze Léonard Cohen « Song for Gala » un cocasse mambo bancal qui dandine en plein air, il y en a d’autres des chansons, toutes très belles, laid-back douces et aussi faciles à vivre que celles de Kevin Ayers.

Lazy, soft and slow... Lazy, soft  and slow... ouvrez les yeux, ouvrez les yeux et imaginez ce drôle de zèbre qui est là, tête en bas, accroché dans les arbres, ce drôle de zèbre c’est moi. Oui ce drôle de zèbre, amoureux de lui-même c’est bien moi, doux, lent et très paresseux.

samedi 12 janvier 2008

Comment dit-on zen en gallois ?



« Vous prenez votre vie entre vos mains / Mais ne prenez en main votre vie comme je l’ai fait de la mienne / Ne vous sentez pas si mal / Et regardez toujours l’avenir avec espoir. »

Mon Dieu quel disque ! Planté au cœur de l’erratique discographie eighties de notre massacreur de poulets « Music For a New Society » est un bloc de terreur pure. Incontestable Temesta d’or, disque frappé glauque comme une tequila pas frappée qu’on s’enfilerait l’air las et tout seul … c’est un must indispensable à écouter méfiant et circonspect les fenêtres fermées (pour les non-habitants du rez-de-chaussée) et le compteur du gaz fermé lui aussi. « Musique pour une nouvelle société », et ben on imagine cette société ! et on frissonne ! Cale est cocasse comme un Cioran en pire en comparaison le « Berlin » de son frère ennemi maudit est une chose passablement guillerette. Notre Gallois mal embouché lui ne triche même pas il reste cru appuyant là où ça fait mal quand Lou lui se cache derrière son masque (ou son casque de moto) , on aura donc affaire à un sincère cynique d’un coté à un nouvelliste distancié (mais tremblant) de l’autre … Pour en revenir à cette fameuse musique pour une nouvelle société et bien c’est une œuvre d’homme seul au monde, on imagine un John Cale résigné presque a bout de force un John Cale qui pousserait le vice jusqu’à inventer le disque que Syd Barrett aurait créé en sortant des jupes de maman et de ce vilain jardin … Une musique constamment sur le fil du rasoir ; une musique faite de vrombissements électroniques incongrus de guitares vraiment sèches ourlées d’un orgue sépulcral. Ambiance glaciale cicatrisée sur la banquise où la voix de Cale dépitée hésite entre les cris et les râles, une voix qui vient après : après l’amertume et le ressentiment, après la résignation même. Ecouter « Sanities » par exemple. Il y a ces raccommodages bouleversants « Close Watch, Chines Envoy » un titre plein d’umour triste « Damn Life » reprise de « L’hymne à la joie » ravissant non ? Je ne sais pas si John Cale est vraiment fou enfin il paraît s’en être sorti aujourd’hui - quoiqu’un type qui collectionne les revues sur les chars d’assaut reste quand même potentiellement suspect - en tous les cas il n’a passé un pacte qu’avec lui-même … Comment dit-on zen en gallois ?

vendredi 11 janvier 2008

Journal pygmée des « Vies minuscules »


Je l'admets sans clignoter, j’ai longtemps été perplexe voire confusément ennuyé par ces « Vies Minuscules », touché parfois quand presque comme par hasard je trouvais la véritable mesure de ma lecture, mais souvent décroché par la cadence de toutes ces phrases un peu cotonneuses, par cette prose semi-précieuse, cette ponctuation en trou noir paraissant absorber les lexies , le signifiant,et d’avantage encore la matière des mots. Une littérature plus que lactescente : caillée… avec déjà un petit peu de jaune, une saveur aigre dans les narines, ce coté paysan, mornes pleines de Saône-et-Loire (c’est pour moi), splendeurs cachées de la Creuse, toutes ces histoires, ces histoires de familles, ces petites vies, bref au mitan du centre de ma modeste lecture j’étais dubitatif sur le Michon...

Force est de constater que je me trompais, que mon problème face au Michon c’était plus que lui, moi, mon inaptitude crasse à trouver un vrai rythme de lecture, mon manque d’implication et de concentration pour vraiment pénétrer ces fameuses phrases en trou noir, leur densité adamantine, ma bêtise, oui ma bêtise, il faut bien l’admettre.

Reprenons…

La masse, la charge électrique et le moment cinétique. Si la phrase de Pierre Michon est un trou noir, c’est peut-être parce qu’elle accapare les mots (la masse des mots), leur charge électrique, et que plus qu’une mise en abyme ou une représentation courbée des mots sur eux même c’est un agrégat de lumière noire qui là - bien qu’invisible - apparait. Le Michon plus qu’une langue alors forme un lieu mélancolique, au bord de l’ergosphere dans cette région où rien ne peut rester stationnaire, où tout est emporté, doucement, secrètement…

Pour mieux comprendre comment le Michon fonctionne (Le Michon comment ça marche ! ) , il faut remonter à la source, pourquoi cette langue excessive, ce lieu triste sombre et abattu aux lisières de l’ergosphére, phénomène inobservable ?

« Le miracle c'était simplement, à près de quarante ans, de pouvoir danser, enfin, sur mes deuils. C'était que mon désastre intime se résolve en prouesse, mon incapacité en compétence, ma mélancolie en exultation, bref toute chose en son contraire. Mais tout cela obtenu et prouvé, cette compétence, cette exultation, qu'en faire? C'est là le deuxième écueil, l'écueil de l'écrivain qui écrit. Le miracle initial, on est bien tenté de le transformer en métier »

(work in progress...)
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lundi 7 janvier 2008

Kas Product - Never Come Back



Pourquoi Elli Medeiros alors qu'il y avait Mona ?

Oui Mona... nous aimions Mona c’était la fille idéale. C’était avant Internet, bien avant, il n’y avait pas d’images ou si peu, des phantasmes il y en avait, beaucoup, même parfois trop. Il y avait des livres en papier, des disques en Celluloïd et des cabines téléphoniques. Et des types qui téléphonaient dedans, et des types qui attendaient que les types qui téléphonaient dedans aient fini de téléphoner pour téléphoner à leur tour. C’était un temps ou il y avait de l’intime et de la pudeur dans les conversations téléphoniques, on pouvait parler d’un éventuel futur cunnilingus en paix par exemple...