dimanche 22 février 2009

Psychogéographie Indoor (10)



« De tous ces voyages, je n’ai jamais rien tiré pour mes livres »

1.

Aussi rebutante soit-elle, aussi narcoleptique soit-elle, j’ai pour principe acquis le fait de ne jamais laisser choir une lecture en route ; j’ai en effet toujours de vagues scrupules à vouloir ainsi abandonner un développeur de syntaxe et de facto sa syntaxe avec en route, la lumière peut toujours surgir par mégarde et puis il y a toujours l’éventualité que je puisse me retrouver, comme par magie, dans les dispositions adéquates : dans le mood iridescent me permettant de discerner un infime point de pression avec le texte qui se dérobe lâchement à ma vision. Toujours est-il que je n’abandonne jamais une lecture en cours… presque jamais… et que je suis bien souvent récompensé par ma ténacité. Ho ! il y a bien d’infimes exceptions aux principes acquis et la règle en vigeur, le rose au front je dois par exemple avouer qu’au bout de vingt courtes pages d’efforts bien réels et inconstatables j’ai laissé choir sur le sol l’Effet Glapion du mage antibois Audiberti ; du mordoré qui vire au chanci, du boulevard au troisième degré, mais alors vieillot, mais vieillot dans le pire sens (pour le meilleur sens lire Jouhandeau) quelque chose de croupi dans l’humour jaune, comme une mauvaise maladie pas drôle qui se voudrait comique, la dernière fois que j’avais laissé choir sur le sol un livre avec un tel bruit mat c’était la morne valse d’Albert Cohen : Belle du Seigneur ; une sacré maladie, la maladie du sommeil… Peut-être, qu’en fait, j’ai un problème avec la faconde méditerranéenne en littérature ? Peut-être que ce baroquisme à la petite semaine m’ennuie, m’agace, voir pire en mieux m’endort ! Enfin j’exorcise tel un nyctalope tatillon car le reste d’Audiberti est souvent très bien, rempli de pierres biscornues et de mots gisant sous les oliviers, et puis c’était un type bien, la preuve il ne se nourrissait que de boites de sardines à l’huile (ou presque) … comme Brassens un autre méditerranéen, mais moins loquace lui.

2.



En 1925 Raymond Roussel se fit construire une roulotte automobile, une voiture-salon, une Rolls-roulotte bien à lui. Outre un cabinet de toilette, un salon avec lit escamotable, un secrétaire, un bar et une cuisinière, on y trouvait un dortoir amovible (et versatile) destiné au petit personnel (deux chauffeurs et un valet.)
Quelques quidams inquiets et néanmoins piétons du siècle dernier auraient vu ce curieux attelage (anxiogène, tel un corbillard surdimensionné) arpenter certaines routes européennes d’Alsace en Suisse, de Turquie en Italie, d’Italie en France et de France en Italie… Mussolini l’aurait visité en 1926 tout comme un nonce apostolique envoyé là par un pape curieux...un pape curieux et futé, puisque flairant intuitivement une proto papamobile plausible.
Lassé par le tourisme grandissant, la banalité croissante des Palaces, Raymond Roussel finit par s’enfermer dans sa Rolls-roulotte (son palace à lui) où, reclus, il fit mine de vivre en compagnie de sa maîtresse officielle, Charlotte Dufrène… Jolie couple en très petit indoor avec la domesticité amovible sur les côtés… Le véhicule, chambre noire inhalant couple et lumière, n’était plus « quitté » que pour de lumineuses activités liées à une toxicomanie galopante, White Light comme dirait l’autre…

NB : Raymond Roussel est mort d’un accès de barbiturique dans la nuit du jeudi 13 au vendredi 14 juillet 1933, entre minuit et deux heures du matin c’était dans la chambre n°224 (aujourd’hui n°225) du Grande Albergo delle Palme à Palerme un palace non motorisé où le tintammaresque Wagner avait précédemment composé Parsifal, vous voyez le truc qui fait crincrin ?

Ps : La Rolls-roulotte fut présentée au salon de l’automobile 1925. Les derniers mots de Raymond Roussel (à Charlotte Dufrène ) : « Ne t'inquiète pas ».

3.



On quittera un instant les vrais faux fous littéraires et on rejoindra nonchalamment les bords de la méditerranée : celle de JD Pollet, celle du « plus con des suisses pro-chinois »… la méditerranée de la vengeance des Dieux celle où au deuxième jour des Anthestéries athéniennes (la fête des fleurs ) on confiait à chaque Athénien une outre de vin : il s’instituait alors un genre d’espèce de tournoi plus éthylique qu’athlétique ; le vainqueur était celui qui avait le premier vidé son outre. Le lendemain le troisième jour des Anthestéries athéniennes était consacré aux marmites (la fête des marmites) ; quand on sait que dans ces marmites là il y avait l’âme des morts qui flottait, on frémit rétrospectivement et, pour se rassurer, on débouchonne un Guigual qui n’attendait qu’à être débouchonné.

Ah oui j’oubliais ! le Cefalù de l’ami Durell commence comme du Graham Greene sans espions pour finir panthéiste, très panthéiste, magnifiquement panthéiste… Dans le creux d’un Eden crétois avec la mer qui plus bas scintille dans le bleu. Le reste est une histoire d’éboulement, le reste est très bien aussi, vous n’avez qu’à lire le reste.

NB : Loin des Athéniens zigzagants outre en main, lors des Purim, le Talmud enseigne que l’on doit boire jusqu’à ne plus reconnaître l’un des deux cris particuliers à la fête proposée : « Maudit soit Aman !» et « Beni soit Mardochée ! »

Ps : Chez les Chinois ancestraux on creusait des étangs que l’on emplissait de vin, sur ces étangs on aurait pu faire tournoyer des navires.

jeudi 19 février 2009

The Distractions - Nobody's Perfect (1980)




Las et peu inspirés nous arpenterons aujourd’hui les rivages du factuel :

Un pied Buddy Holly, un (petit) pied Costello, un pied Feelies première manière (ce qui nous fait trois pieds.) Un genou clair et raide psycho Talking Heads, un autre plus souple et spectorien mais plein d’épanchement de chez synovie… un mollet sans gras alerte punk pire que le mollet galbé de ma sœur, un autre Power Pop plus Power Pop que la coupe playmobil de Moon Martin., bref que du bon dans les bas morceaux. Le reste tout ce qui est du domaine du haut, de l’éminent et du distingué, sera sûrement évoqué un jour par les douteux scribouilleurs mous guevaristes des « inrocks », ce sera au cœur d’un énième numéro libellé trésors cachés ; le numéro qu’il vous faudra ne pas rater sous peine de rester penaud.

mercredi 11 février 2009

Henry Badowski - Life Is A Grand (1980)



Il y a une dépression sur l'Atlantique; cette dépression n’ayant rien des âmes en peine et tout de la météorologie se déplace d'ouest en est vers une zone de circulation atmosphérique idéalement située au-dessus de l’ancienne région du soviet suprême. Cette primesautière dépression n’ayant aucune tendance à vouloir éviter son hypothétique point de chute en se perdant au-dessus du cercle polaire arctique, l'humidité relative ayant atteint un minimum peu usité en cette saison ordinairement viciée par les frimas, je ne crains donc pas de recourir à une formule désuète, mais parfaitement judicieuse : Vive la dépression !

Aujourd’hui fut une agréable journée, une journée parfaitement non cruciale et tellement non décisive qu’il eut été de mauvais goût de la meubler en écoutant autre chose qu’une somme non cruciale de disques absolument non cruciaux et loin du décisif.

Au hasard du peu important, mais du convenable pour l‘ameublement, ce disque d’Henry Badowski : un disque très élégant, très barrettien dans l’âme, très anglais dans le bon non-sens. Un disque préparé et presque mitonné par un homme orchestre vétéran punk (Chelsea, Damned, Alternative TV...) tâtant de tous ses instruments. Si l’on excepte deux trois grimaçantes scories eighties de type saxophone en plastique le tout est tout à fait délassant et donc parfaitement dans le mood iridescent du peu prépondérant… barrettien disais-je… un peu Kevin Ayers aussi. Kevin Ayers chez Gary Numan ou l’inverse, comme si ce rendez-vous là était possible voir non-antinomique à l'instar du premier jour d’hiver venu sans tempête.

PS : Ce disque est sorti en 1981, ce n’est donc pas du retro bidule.

Nb : La basse est flanguée sur le dernier titre.

samedi 7 février 2009

Tubeway Army - Are 'Friends' Electric?



Longtemps, j’ai été allergique à cette new-wave findus, à peine mon pick-up éteint, mes yeux se fermaient si vite que je n'avais pas le temps de me dire : « Les endives blafardes, non merci ! » et je tombais dans les bras de morphée. Une demi-heure après, la pensée qu'il était temps de chercher quelque chose d’écoutable en dehors des « endives blafardes » m'éveillait ; je voulais rallumer mon pick-up; pourtant je n'avais pas cessé en dormant de me faire des réflexions sur ce que je venais d’écouter, et ces réflexions avaient pris un tour particulier ; il me semblait que j'étais moi-même ce dont parlait le disque : « une endive blafarde ! » Cette croyance subsistait pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas mon entendement, mais pesait comme une paire de membranes laiteuses dans mes oreilles et les empêchait de comprendre que le disque ne tournait plus...
Un jour, il y a peu, j’ai appris que Gary Numan, l’homme de cette new-wave findus, était victime du syndrome d'asperger, une forme d’autisme très courante chez les « endives blafardes » ; le vrai sujet de Gary Numan c’était détaché et aussitôt j’étais libre de m’y appliquer ou non ; en tous les cas je recouvrais l’ouï et j'étais bien étonné de trouver autour de moi une nébulosité, douce et reposante pour mes oreilles. Are Friends Electric? est la chanson (oui chanson) que j’ai le plus écouté l’année dernière. Le reste à beau être légumineux et sous la banquise, je l’aime beaucoup cette partie visible de l’autisme.

dimanche 1 février 2009

White Lies - To Lose My Life (2009)



C’est avec une pointe d’aigreur contrariée au coin de l’estomac que le quadragénaire en chaussures à bouts ronds ouïra ce disque, il se remémorera alors le « rock héroïque » et il aura bien raison de trouver qu’il n’y a pas grand chose de pire. Le trentenaire en chaussures à bouts carrées trouvera, lui, l’ensemble pas mauvais, il faut savoir que le trentenaire en chaussures à bouts carrées ne se préoccupe que de son blouson Burberry, la musique n’est pas une priorité, il y a des traites à payer, des cruches à baiser et de toutes les façons : le « rock héroïque » c’est quoi ce truc ? Nous n’évoquerons pas la frange molle post-adolescente en Nike odoriférantes, elle ne jure que par les dépeignés d’Animal Collectif et ces gens sont des drogués .
Par en venir plus précisément à ce disque, la grande presse chaussée Church évoque ici et là l’ombre portée de Joy Division ; le quadragénaire en chaussures à bouts ronds n'y verra pour sa part qu’une pâle resucée d’Interpol et des Editors. Le quadragénaire en chaussures à bouts ronds ne vous refera pas l’article : chacun connaît ces patibulaires godelureaux en mèches Franck Provost.
Il faut savoir que lorsqu’il entendra mal vrombir ce machin verdâtre une fâcheuse tendance à perdre toute confiance en l’humanité saisira notre quadragénaire chaussé rond. Il y aura même certainement une irrésistible envie de pendaison qui rodera, des cols de polos Lacoste qui frémiront. Cependant rassurez-vous pour lui, il n’y a pas de trop réverbères à la porté de son cou, la neurasthénie ne sera que passagère et, bien vite, notre quadragénaire laissera ses chaussures à bouts ronds le guider promptement vers les seins de Sylvie.

NB : La pochette Art-School n’est pas mal, les lyrics mieux que la « musique » il n'y a pas de mal à être mieux. Nos « amis » désespérés étudiés ne partagent pas leurs vidéos, Il n'y en aura donc pas ; regardez plutôt les vraies (rares) de Joy Division, elles sont tissées d’une étoffe bien plus précieuse..

PS : les church(s) se cirent même sous la semelle et Ian Curtis était sincère, toute la différence est là.