mercredi 10 avril 2024

Psychogeographie indoor (136)

 


« Ma santé, actuellement, est admirable, j’ai repris la bicyclette, le tir au pistolet, l’escrime et la pêche à la ligne. » (Alfred Jarry, lettre au docteur Saltas)


24 mai 2023.- Deux éclaircies tardives (22°C). Labeur et ses diverses joyeusetés consécutives : lombalgie tenace, bras gauche coincé de la main au coude, cervicales en capilotade. Après la sieste, bien nécessaire, court détour par les Cahiers de l'animal Cioran : « Goethe est ennuyeux, mais tout compte fait fécond ; Bloy est amusant, mais décevant ; on n’en tire aucun profit. Un tempérament pour Américains du Sud. » Je ne suis pas tout à fait d'accord. Les voyages italiens de Goethe n'ont rien de vraiment ennuyeux. Quant au patibulaire Bloy, j'ai du mal à lui trouver quelque chose d'amusant (le côté Américain du Sud est bien vu).


25 mai 2023 - Il est enfin là, le beau temps (21°C).

Une certaine fluidité, voilà vers quoi je tends. Sans ostentation, sans chercher l'effort et me laissant porter.

En somme, je fais la planche,
et je regarde le ciel,
et les nuages,
et tout ce qui me passe au-dessus de la tête,
j'ai les épaules moins lourdes.

Jean-Louis Murat est mort, Tina Turner aussi, et puis Kenneth Anger également. Houellebecq a écrit un petit rogaton autobiographique. Je le sens mauvais et bon à la fois, engendrant une certaine déception, mais en bien et qui tombe à point.


26 mai 2023.- Une certaine tiédeur (26°C). À moitié lu Quelques mois dans ma vie de l'animal Houellebecq. Ce petit livre d'humeur à visée autobiographique n'est certes pas extraordinaire, mais il est tout de même beaucoup mieux que ce que l'on en dit ici ou là. Derrière l'écume, les avis pas forcément pénétrants de Michel, sur la religion, la politique, la société et l'air du temps, c'est surtout un texte qui me semble vraiment parler d'une seule chose : la honte. La honte de s'être fait avoir, de se retrouver avec les doigts dans le pot de confiture du sexe. La honte d'être finalement trop naïf. La honte, parce que la honte survit souvent à ceux qui l'ont éprouvée. S'il y a une certaine valeur (littéraire, on dira), dans cette courte chose elle est là ; le reste relève de l'anecdotique. (Enfin, c'est aussi un peu pathétique et quand même souvent drôle.)


27 mai 2023.- Le beau temps s'est tellement fait attendre et à présent il est là, planté comme s'il n'avait jamais cessé d'exister (27°C). Journée essentiellement consacrée à la non-activité : coiffeur, déjeuner agréable en extérieur, sieste corrélative à l'ombre. Fini le court ouvrage de l'ami Michel. Rien de vraiment folichon, cependant l'intérêt est là lorsqu'il est question d'autres écrivains (et même de John Grisham). Le reste, les détours politiques, la réception de tout ça par le landerneau médiatique, me passe allègrement au-dessus de la tête

Dans Les Mémorables de Maurice Martin du Gard, mort de Proust, un peu d'émotion et du beau monde : « Vers trois heures je redescendais avec Giraudoux ; devant nous marchaient Maurice Rostand et Léon Daudet dont l'affliction, à tous les deux, faisait peine à voir, dans le jour gris qui salissait les pierres et nous eut désolés encore un peu plus si nous avions pensé aux vergers en fleurs d'À l'ombre des jeunes filles et à ces aubépines avec lesquelles Proust conversa comme il fit avec tout un univers visible et invisible, et qu'il nous laissait en mémoire de lui. »


28 mai 2023.- Il fait déjà presque trop chaud (28°C). Entre l'Apollinaire de Pia et les Mémorables de Martin du Gard, mon appétence lectorale est assez téléportée au début du siècle dernier. Chez l'un, Marie Laurencin et quelques emprunts au Louvre ; chez l'autre, semaine anglaise et journée de 8 heures imposée par la CGT, un déjeuner avec Paul Fort où l'on mange de la salade et des pommes frites, des cœurs de palmier et de la confiture de goyave… La guerre est finie.

Par ailleurs, je fais mes valises. Demain départ pour Vichy où je compte bien marcher dans les pas de Valery Larbaud, tout en évitant ceux du Maréchal que l'on sait..


29 mai 2023.- On frôle l'estival (26°C). Vichy, parcs et jardins, plaisirs des villes d'eaux. Le labardisme me guette.


31 mai 2023.- Beau temps (28°C). Vichy toujours. Émotion : la bibliothèque de Larbaud reconstituée. Des milliers de volumes offrant une diversité et des couleurs toutes cosmopolites. Le chapeau de paille de l’écrivain, ses petits soldats oubliés dans une vitrine ; un certain pincement face à l'indifférence des rares visiteurs… Plus loin, la maison natale d'Albert Londres, drôle de bicoque à tourelles ; l'étonnante Église Saint Blaise et son intérieur art déco ; les bords de l'Allier sur plus de dix kilomètres, la nature là… bien vite.


2 juin 2023.- Journée estivale (28°C). Maison natale d'Albert Londres : petite exposition assez bien faite. Quinze kilomètres de psychogéographie outdoor, oublié la tombe de Larbaud. Dans une boîte à livres, un choix de Montaigne par Bernard Grasset, un roman de Gadda.


4 juin 2023. - Tendance orageuse (27°C). Retour de Vichy. Retrouvé mes plantations dans un piteux état. De surcroît, un nid de guêpes s'est établi sous le toit de mon immeuble. Je n'ai rien contre ces bestioles, mais par manque de tenue d'apiculteur à portée de main, mes velléités de lecture en extérieur se sont révélées un brin périlleuses. Si j'ajoute la présence d'une voisine à ma droite dont la voix devient de plus en plus gutturale (une mue ? Une mutation génétique ? Un changement de sexe ?), on comprendra aisément mon embarras. Malgré tout, réussi à lire le tapuscrit de l'un de mes amis virtuels. Une petite affaire romanesque qui tangue là où il faut, loin des préoccupations liées à la « valeur travail », au néolibéralisme et à ce genre de choses. Beaucoup de combustion lente d'humour en sous-main et d'ironie sans ricanement. Vraiment pas mal, mériterait d'être publié.


5 juin 2023. - Tiédeur à tendance orageuse (27°). Un peu dans les Cahiers de Montesquieu que j'ai acquis dans la verte et pétillante Vichy. J'ai beau les ouvrir au hasard, je ne tombe que sur de l'extraordinaire, voire du génial : « J'ai toujours vu que, pour réussir parfaitement bien dans le monde, il fallait avoir l'air fou et être sage. » Fini le tapuscrit de mon ami virtuel. Pas mal du tout, et même jusqu'à la tragédie qui pointe un peu le bout de son museau sur la fin (la tragédie pointe souvent le bout de son museau sur la fin). Il y a du sautillant et il y a surtout ce que je pourrais caractériser comme des phrases d'écrivain. J'espère que mon ami virtuel trouvera un éditeur (quelque part entre POL et Minuit). Sinon, le voisin de droite est passé entre trente à quarante fois à côté de ma chaise de lecture sans même me voir. Ma voisine de gauche téléphone en robe de chambre, celle du dessus écoute des playlists lounge. Du côté des bestioles, les oiseaux chantent, les papillons volent et j'ai toujours un nid de guêpes cinq mètres au-dessus de la tête.


6 juin 2023. - Quelques nuages hauts n'altérant pas le beau temps (29°C). Guère d'envie, maussade pour tout dire. Heureusement, Les Mémorables de MMG sont là. Le pétulant Jean Cassou rencontre Léautaud qui ne lit plus de vers, qui se méfie même des vers. Une soirée avec Max Jacob, ses yeux vifs, son côté ironique et minaudier avec des « bouts de candeur ». Gide, Valéry, Boylesve dans un salon littéraire. Les dadas, Tzara qui fait son petit singe. Une confession de Drieu qui aime la guerre, les Dadas (encore eux), l'Action française et les femmes, qui écrit pour mieux voir et mieux se voir… Disons que la compagnie est bonne. Demain, retour au labeur, sans entrain.


7 juin 2023.- Le soleil donne (28°C). Reprise du labeur avec ses douleurs consécutives. Deux poèmes Pacifiques de Louis Brauquier, tiédeur et senteurs de monoï, j'espère une vahiné. Deux pages de Montesquieu, moins exotique, mais très bien.


Pour le reste, mes guêpes sont toujours là.

10 juin 2023.- Quelque chose de torve et d'humide flotte dans l'air (26°C). Le Naufragé de Bernhard. Soliloque autour de Glenn Gould, de la virtuosité gâchée, de l'horrible Salzbourg, de la saloperie autrichienne. C'est resserré comme un poumon d'acier, ça ne respire jamais comme si c'était écrit en apnée. L'évanouissement de l'écrivain, du lecteur, guette à chaque coin de page. Lire Bernhard, c'est toujours un exercice d'inconfort.


11 juin 2023. - L'orage approche (27°C). Hier soir, vie sociale. Bu assez, mais pas trop. Ce matin, toujours un peu vaporeux, retour dans Le Naufragé de Bernhard, ce drôle de machin où un aubergiste se fait entendre au milieu des scansions des répétitions des leitmotivs qui partent et reviennent en boomerang maussade. Texte tout autant terrifiant qu'il peut parfois être extraordinaire. Ce n'est pas une petite affaire romanesque fictionnant autour de Glenn Gould, mais plutôt une tentative d'égaler les Variations Goldberg en les hissant sur la colline de la littérature (ou tout du moins, c’est un texte qui, de façon plus modeste, serait une interprétation des Variations Goldberg par la littérature). Alors, ça « passe » comme dit plus haut par la répétition, la scansion, d'incessants retours sur le motif avec des décalages parfois infimes -— parfois pas — de discrets quoique pinçant changement de teintes, une confiance dans le soliloque qui tend vers la confiance en une sorte d'ascétisme divin sécularisé loin des sacristies. Bernhard est un autre Bach, certainement moins aérien, certainement plus dans la lie des choses et des êtres, un Bach retors, mais un Bach tout de même. Pour faire bonne mesure, quelques lignes de Montesquieu qui s'aventure parfois loin des grandes affaires du Monde et brasse pour mieux brasser, disons des choses assez fines : « La joye meme fatigue a la longue elle employe trop d’esprit et il ne faut pas croire que les gens qui sont toujours a table ou au jeu y ayent plus de plaisir que les autres ils y sont parce qu’ils ne scauroint estre ailleurs et ils s’ennuyent la pour s’ennuyer moins autre part. »


13 juin 2023. - Tiédeur humide, ciel changeant (27°). Tel le premier Ulysse qui passe, cédé aux sirènes des temps qui nous encerclent en faisant l'acquisition d'un vélocipède de type électrique. Après moult péripéties que je ne conterai pas ici, l'objet, qui se veut rutilant, m'a été livré aujourd'hui par un logisticien circonspect (mais néanmoins sous-payé). Dans un élan très bricoleur, j'ai aussitôt sorti tout le toutim de son replet carton et monté la roue avant, monté les pédales, remonté la selle, fixé la potence et, tel un nouveau cador des transports doux, j’ai très vite fait quelques petits tours sournois devant un voisinage ébahi. Je n'avais pas pratiqué la chose cycliste depuis une quinzaine d'années et mon acclimatation aux nouveautés de type électrique fut un peu chancelante, mais finalement concluante. (Malgré la motorisation proposée, j'ai tout de même les mollets bien durs, j'ai aussi les fesses calleuses. Pour celles-ci, je pense que la motorisation n'est pas trop en cause, je pense qu'il s'agit plus sûrement d'un problème de selle mal ajustée…)

Tout ce que je viens de raconter est certainement très bien, pourtant je suis un poil dubitatif. Figurez-vous que cette irruption du high-tech mobile dans mon train-train quotidien m'a presque empêché de lire… Or une journée sans lecture est ce qui, pour moi, frôle le pire. J'espère que cela ne va pas trop durer, que ma nouvelle acquisition ne va pas trop m'accaparer… Bon, entre deux ajustements Shimano, j'ai tout de même pris le temps de boulotter quelques pages de Maurice Martin Du Gard, ses Mémorables sont très bien, on y croise un sacré gratin, le très jeune François Mauriac, par exemple. Pour faire bonne mesure, j’ai aussi picoré quelques lignes chez l’admirable Georges Perros. Un entretien pour France Culture datant de 1975, des paroles où la simplicité rejoint le merveilleux. Perros n’était pas vraiment cycliste, mais c’était souvent un motocycliste inspiré : « Moi, j'aimerais bien, non pas être comme la mer, mais comme un petit ruisseau, une petite rivière. Il y a des petits torrents qui me sont restés dans le mémoire, des petits torrents des Vosges et qui me sont restés très sensibles. J’aime bien cette espèce de truitage de la pensée. Mais autrement, que voulez-vous qu’il se passe ? Autrement, je peux lire les gens qui sont plus intelligents que moi. Oui, j’y arrive, j’arrive à les comprendre, enfin j’y arrive si je cherche… Mais je sens très bien quand je dépasse mon cadastre. Alors, il faut le voir de l’extérieur naturellement. Si je suis dans le cadastre, je vais me limiter complètement à ce que je suis, c'est-à-dire que là, comme je suis un type assez désintégrant, je ne vais plus écrire une ligne de ma vie. Ce qui m’intéresse et me fait écrire, c’est que je suis à l’extérieur du cadastre. Je le regarde, je regarde mon coin, mon petit coin, mais je ne suis pas dedans. Alors l’écriture, c’est d’envoyer les estafettes là-dedans, dans mon petit coin, et de les regarder, de voir ce qu’elles font, ce qu’ils font tous ces gens-là, là-dedans, mon petit peuple. Mais comme je ne suis pas romancier, ça ne prend aucune figuration de romancier, ni aucune figuration poétique non plus. C’est quelque chose d’assez… je m’en étonne moi-même. Quand je me relis, je me dis “où est-ce que tu es, où est-ce que tu vas chercher ces trucs qui sont…” D’ailleurs, c’est vrai, quand on m’aime bien, on me dit que ce que j’écris ne ressemble à rien et… oui, pourquoi pas ? Je ne vois pas pourquoi ça ressemblerait à quelque chose. Enfin, la vie me suffit largement, largement. »


14 juin 2023.- La chaleur tend à poindre (30°C). Labeur, fatigue, mon vélo attendra… Un peu dans les entretiens Mallet/Léautaud. L'enfance du second. Délaissé par ses parents ; élevé par la bonne, aimant déjà les bestioles et pas trop l'humain. Un peu dans le Journal de Renard qui fait la nouba avec Marcel Schwob : « 10 octobre.- Hier soir, Schwob et moi, nous étions désespérés, et j’ai cru, un moment, que nous allions nous envoler par la fenêtre comme deux chauves-souris. »


15 juin 2023.- Quelques passages nuageux (29°C). Cioran, Cahiers (toujours, encore). Il pense à sa mère, à sa sœur, des êtres pour qui il existait et qui existaient pour lui : « Que puis-je faire avec tant de tombes sur le dos ? » Moi aussi, j'ai mon lot de tombes sur le dos et elles me pèsent.

Cioran me donne aussi l'envie de lire les conversations entre Eckermann et Goethe. Je crois me souvenir que Nietzsche conseillait lui aussi cette lecture.


16 juin 2023.- Ciel dégagé, tiédeur (30°C). Encore le labeur, toujours le labeur ! Mais quelle drôle d'idée que de vouloir travailler ! Alors que, hein, on s'en passerait bien de tout ça ! Guère lu. Un peu de l'Apollinaire de Pia dans la collection Écrivains de toujours. Apollinaire pense à Lou, mais sans illusions, uniquement pour se repaître d'images voluptueuses alors qu'il accomplit sa tâche maussade de brigadier d'artillerie. Ses fameux poèmes écrits sur (et à) Lou sont donc, pour Pia, nés d'une continence forcée : « … un besoin physique et c’est ce qui explique qu’en dépit de leur charme ils soient à la fois plus brûlants et plus faibles que les poèmes d’amour autrefois réunis dans Alcool. » Demain matin, je compte faire un petit tour avec ma nouvelle acquisition électro-vélocipédique. Du temps pris sur la lecture.


17 juin 2023.- Tiédeur (31°C). J'ai fait mon petit tour à vélo. Pas grand-chose, pas plus de dix kilomètres. Résultat, j'ai peur dans les descentes. Ce n'était pas le cas il y a vingt ans. On vieillit, on se délite, finalement, on est peu de choses. J'ai rangé ma monture — mon vélo électrique, « la rencontre de Cingria et Perros » (dixit l'un de mes amis virtuels) — et malgré des conditions de lecture particulièrement peu propices, une voisine très fière de sa nouvelle enceinte Bluetooth (invention diabolique !), je suis tout de même parvenu à lire une bonne moitié de l'Amour Noir de Dominique Noguez. Voilà un bon roman-roman d'amour, mais d'amour physique avant tout. Le narrateur rencontre une jeune métisse sur une plage de Biarritz, une histoire quelque chose comme un coup de foudre naît de cette coalescence concédant tout à l'aléatoire. Le narrateur est diablement entiché, celle qui le foudroie est fuyante, sentimentalement intouchable alors qu'elle est très touchable sexuellement (oui, je suis goujat). Il ne serait pas être question ici de la fameuse emprise dont on nous rebat un peu trop les oreilles ces temps-ci, non il s'agit de quelque chose de beaucoup plus compliqué, de plus mystérieux aussi. Noguez pense que pour vraiment aimer, il faut aller jusqu'à l'abaissement et au sacrifice. Il n'y a pas de bonheur donné, tout cela est illusion. Aimer fait mal, presque toujours mal… Quelques pages d'un érotisme jamais gluant, un sexe féminin décrit comme une nouvelle Origine du monde. Je n'ai lu que la moitié de tout ça, c'est pour l'instant très bien…


18 juin 2023.- Il fait encore bien chaud. Une averse matinale (30°C). J'ai effectué mon petit tour de vélo. Tout de même vingt kilomètres. Je maîtrise un peu mieux ma monture. Encore quelques jours et je pense que je la dompterai assez bien. Amour noir. Le narrateur de Noguez ne s'attache pas vraiment au sujet de sa passion, à l'individuum, c'est-à-dire à ce qui ne se divise pas. Non, il divise, ou plutôt il laisse presque complètement de côté une personnalité pour mieux être avec un corps, pour mieux rester transi d'amour pour une liane harmonieuse et presque rien de plus. On pourrait lui reprocher, ce n'est pas vraiment dans l'air du temps que d'être ainsi bouleversé par une anatomie, je ne le ferai pas… Chez Noguez, tout est plus simple et compliqué qu'une histoire de séduction et d'emprise… L’état amoureux est plutôt une question de chargement intime de transformation de l'os vers le cœur, d'électricité et de foudroiement qui vire à la cristallisation. Tout cela excède de beaucoup les rapports policés entre deux adultes consentants aux corps utilitaristes : « Ce qui avait lieu alors, cette lente diffusion du plaisir dans mes veines, son irradiation dans chaque parcelle du monde alentour – la couleur du ciel, la douceur de l’air, la lumière de la rue, les visages que je croisais, les paroles que j’entendais en semblaient imprégnés –, c’était le retour, enfin, de la réalité et du présent, l’incarnation de mon bonheur et, bien plus que dans le moment – dans le fantôme du moment – de l’étreinte, la seule vraie preuve que j’en pouvais avoir. Et quelle preuve splendide ! L’amour, donné et reçu dans l’étreinte charnelle, rayonne ensuite tellement qu’il ouvre. Il est comme ce festin “où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient” auquel Rimbaud compare l’enfance. Il dégage le cœur, la poitrine, fait oublier cette peau qui nous sépare des choses, il nous rend presque immatériels, nous met en prise directe avec le monde, au cœur du monde. » Sur la fin, il y a une très belle scène (je parle de scène, car elle est amplement cinématographique). Le narrateur retrouve celle qu'il a aimée dix ans plus tôt dans un bouge de Montréal. On pense à certaines choses, à d’autres, on pense surtout à Von Sternberg, cet autre grand maître de l’amour compliqué.


19 juin 2023.- Vent tiède et nuages épars, rien d'agréable (30°C). Ce matin, mon tour de vélo ne fut pas entièrement satisfaisant. Trop de voitures, de chemins qui finissent en cul-de-sac privatisé, des vitesses qui passaient mal… Plus tard, j'ai lu Le livre de l'hospitalité de Jabès. Très beau, et même dans ce qui pourrait paraître proche du poncif. Des fragments, des dialogues, des bribes et quelque chose des écrits talmudiques qui me sont passés au-dessus de la tête par manque de culture. C'est le dernier livre de Jabès, paru de manière posthume. Il laisse entendre une parole d'outre-vie, une parole qui ne s'offusque pas, mais qui s'attriste devant les événements de Carpentras et la possibilité du pire même après le pire, une parole qui est au monde autrement qu'en y résidant, une parole lucide : « Mais le discours antisémite n'est pas le discours raciste et vice-versa. Les problèmes engendrés par l'immigration mal contrôlée ont rapidement donné naissance à un discours restructuré contre l'étranger, responsable de tous les maux. »


20 juin 2023.- Tiédeur humide, cochinchinoise pour tout dire (30°C). Vingt kilomètres à vélo, cinq kilomètres à pied, je refais un peu trop de sport, ce qui me laisse beaucoup moins de temps pour les pérégrinations lectorales. Tout de même, un peu picoré dans La Chose Écrite de l'affreux réactionnaire Dutourd. Bonheur d'écriture, bonheur de lecture. Le bonheur serait-il de droite ?


22 juin 2023.- Orages violents (30°->21°C). Quelques épatantes considérations de l'animal Dutourd qui tourne autour de Montaigne, Cazotte, Loti ou Maupassant avec une satisfaction bonhomme (Mérimée ne touche que huit notes de son piano, mais il les touche divinement bien, Maupassant n'en touche que quatre et elles sont parfois fausses). À l'alternat, retour dans les Cahiers de Cioran. Le 17 décembre 1966, il ne peut pas dormir, alors il se lève de bonne heure et va se promener, à « l'heure des oiseaux et des bouseux ».


23 juin 2023.- Les orages derrière nous, vague beau temps un peu venteux (26°C). Labeur et fatigue consécutives. Douleurs articulaires, pieds, genoux, cervicales, dorsales et lombaires, c'est un vrai festival neuropathique. Loin de tout ça, Dutourd, sa Chose écrite et ses divers sautillements autour de Montaigne, Renan ou Jean Lorrain… De l'entrain, une certaine joie de lire, de transmettre. Pour tout dire, c'est excellent. Demain, après mon tour de vélo, j'entamerai Pleins de Vie, une petite affaire de John Fante qui me semble assez appétissante.


24 juin 2023.- Chaleur caniculaire (33°C). Fait mon petit tour de vélo. Toujours peur dans les descentes, ce que je ne m'explique pas… En chemin, musardé autour de quelques boîtes à livres. Pas grand-chose de giboyeux, des Maurois joliment défraîchis, mais déjà lus, beaucoup de littérature grande presse… Ramené L'Aigle à deux têtes de Cocteau. Pour ce qui est de la pente moins vélocipédique et plus immédiatement lectorale de ma journée, entamé Pleins de vie de John Fante. C'est un beau récit autobiographique amplifié par ce qui pourrait bien être de la littérature. Fante raconte la grossesse de sa femme Joyce. Il explique comment elle a traversé le plancher de leur maison attaquée par les termites. C'est parfaitement amusant, dans des teintes à demi-amères et presque désabusées, et c’est surtout tout plein d'une humanité non patibulaire… À vrai dire, le texte de Fante nous permet d’effleurer ni plus ni moins que l'amour sous toutes ses formes — conjugales, paternelles, maternelles, filiales — et l'on ne se préoccupe pas de savoir qui doit faire la vaisselle. Bref, c’est très bien. (Formidable préface de Philippe Garnier qui ne quitte pas ses beaux arpents d’informateur à la cool).

Sinon, toujours avec Dutourd, l’épatant y règne sans ostentation, comme à pattes de velours.


Quant au Monde, le groupe Wagner se rebelle, quasi-guerre civile en Russie.


25 juin 2023. Grande tiédeur (33°C). Face aux conditions climatiques de type extrême, réservé mes élans vélocipédiques pour le petit matin, le petit blême… Effectué une quinzaine de kilomètres entre sous-bois et bord de rivière. La géographie quasi citadine recèle encore quelques espaces pour ainsi dire naturels… Rentré à bon port, trouvé un coin d'ombre qui m'a permis de poursuivre plus confortablement la petite chose de John Fante entamée hier. Entre une femme enceinte un peu zinzin qui joue au maçon et un vieillard un peu toqué possédé par le démon de la construction, je suis bien.


26 juin 2023. Il fait chaud (30°C). Les voisins de gauche ont vendu. Leurs remplaçants sont déjà là avec des velléités de travaux plein la tête. Ce matin, c'était l'heure des devis, un pétaradant défilé d'artisans. Si les travaux sont aussi bruyants que les négociations autour du prix de la main-d'œuvre et de l'évacuation des gravats, cela va devenir assez vite invivable. On sait ce que l'on perd. On ne sait jamais vraiment ce que l'on gagne. Fini le Pleins de vie de Fante. Loin des éthers et de l'intellectualisation, quelque chose de terrien, de solaire aussi… une histoire d'êtres et d'astres palpables. Après quelques pages de Dutourd, un tour par le cimetière, arrosé les plantes sur la tombe de mes morts… Demain, départ pour une destination exotique : Aix-les-Bains.


To be continued.


lundi 4 mars 2024

Psychogeographie indoor (135)


« Quand on écrit avec facilité, on croit toujours avoir plus de talent qu'on en a. Pour bien écrire, il faut une facilité naturelle et une difficulté acquise » (Joseph Joubert) « Dieu ne veut pas que j'écrive, mais moi, je dois. » (Franz Kafka)

21 avril 2023 - Rien de vraiment printanier (18°C). Je tangue dans un vague ennui. Chez Manchette (Derrière les lignes ennemies), beau côté arrière-cuisine. Nothing else.

22 avril 2023 - On annonçait des éclaircies qui se sont fait attendre et qui ne sont pas venues (18°C). (Matin) Fini le livre de discussions de l'ami Manchette. Malgré le côté répétitif des questions (les journalistes manquent souvent d'imagination), c'est globalement très bien et en tous les cas plein d'une humanité bravache. Quelques dézinguages : les successeurs néo-polar, l'art contemporain, le cinéma post-hollywoodien, la « littérature d'art », la gauche officielle, mais chez Manchette, il n'y a jamais la trace d'une quelconque aigreur. Non, plutôt une sorte de résignation non dupée par les divers événements — intimes, politiques — qui nous le fait encore plus aimer. (Après-midi) En 1958, dans La Panoplie littéraire, Bernard Frank est déjà plein de lymphatisme goguenard, cela ne l'empêche pas de donner de larges et ouatés coups de patte dans l'establishment littéraire de son temps. Ainsi, s'il s'attaque à Sartre et à son secrétaire Cau sans donner l'impression de les toucher il laisse tout de même quelques traces de griffures derrière lui. C'est ouaté comme je le disais, plein de fausse torpeur palimpseste pour mieux masquer les méchancetés qui sont bien là. Ça tangue aussi nonchalamment, part dans des digressions qui sont autant de caresses contre le sens du poil. Bref, Bernard Frank, c'est toujours très bien.

23 avril 2023 - Météo vaguement orageuse, vaguement sinistre (18°C). Frank pense qu'en rassemblant philosophie mathématique et blagues, Queneau aura transformé la littérature en une autre technocratie. Et puis cette petite voix mièvre de vieille femme essoufflée. Que voulez-vous Queneau, rien pour lui ! Enfin, je m’égare, La Panoplie littéraire n'est pas un livre vraiment consacré à l'oulipien en chef, c'est un livre qui tourne surtout autour du pâle Drieu. Enfin, c'est plutôt un livre sur cette série d'attitudes dans lesquelles les écrivains se complaisent, ce miroir qui les avantage, ces faiblesses qui sont des charmes, ce duvet de l'intelligence. Pour voir tout ça, il faut démonter tout ça, démonter Drieu ! (Je ne suis pas très clair, je ne suis pas en forme.)

24 avril 2023 - Deux éclaircies (15°C). (Avant la sieste) Frank : dissection de l'écrivain collaborateur. Ambiguïté de Gide, joie compliquée de Sartre, sautillements de Rebatet, lucidité patibulaire de Drieu. Dissection de l'écrivain de droite, de celui de gauche. Dissection de l'antisémitisme, celui de Drieu tenant plus de la perversité que de toute autre chose, celui des autres qui est parfois un antisémitisme d'arrivisme. Frank est un grand dissecteur légiste qui ne simplifie jamais rien, qui complexifie même, qui au-delà des constats trouve des causes. Son scalpel a beau découper avec une tranquillité ronde et bonhomme, il ne laisse rien d'indemne derrière lui. (Après la sieste) L'écrivain de droite n'est qu'une tête folle, un gentil garçon, un pur esprit occupé par la beauté de ses phrases sur les tulipes ou la Perse barbare. On n'aimerait que ce soit cela, c'est plus compliqué. L'écrivain de droite est aussi un type qui fait semblant de croire qu'il faut se moquer de la politique alors que ce sont les circonstances qui l'ont contraint à le faire. Lorsque ses vraies idées sont au pouvoir, on voit le résultat. Chez Drieu, c'est terrible. Sa sincérité est de mauvaise foi.

25 avril 2023.- Belles éclaircies (15°C).(Matin) En 1958, date de parution de sa Panoplie littéraire, la grande affaire pour Bernard Frank, c'est l'engagement politique. Il faut dire que l'époque veut que les communistes phagocytent le marigot intellectuel, que la droite soit suspecte du pire et que les modérés et les vaguement désengagés n'existent pas, ou presque. Même s'il offre de merveilleuses perspectives critiques autour de la figure sacrifiée de Drieu, son livre est donc trop tendu par les interprétations politiques de son temps, oubliant que le roman est souvent ailleurs (Le Feu Follet n'a qu'un mince verni politique). Enfin, c'est ce que je pense.

Loin des rondeurs frankiennes, entamé En lisant Augustin de Miklós Szentkuthy (Chez José Corti). Tenu une page, c'est bien au-dessus de mes forces présentes. Encore un type qui dit des choses simples de façon compliquée alors qu'il faudrait toujours faire l'inverse.

(Après-midi.) Il faisait presque beau alors j'ai fait un petit tour au cimetière et j'ai visité mes morts. Dans l'élan — un élan un peu chagrin et plein de poudre de chrysanthèmes — j'ai poursuivi mon petit chemin en improvisant une courte séance de psychogéographie qui m'a emmené vers des lieux de portée limitrophe jusqu'à présent ignorés de ma personne. Ainsi, sous mes pas, j'ai découvert un point de vue donnant sur deux fleuves qui se rejoignaient — on parle de confluent — avec au loin sur l'horizon de très hautes montagnes blanches qui semblaient jouer avec de gros nuages d'altitude. Sachant que mon modeste logis est situé à moins de cinq cents mètres des lieux que je décris si mal et que j'y vis depuis plus de vingt-cinq ans, on pourra en conclure que je n'ai pas l'esprit très porté vers l'aventure. C'est en partie faux, car voyez-vous, je connais assez bien Naples, Biarritz, Cluny ou Phnom Penh. En fait, je pense que ma connaissance limitée de mon environnement le plus immédiat est probablement ficelée par un excès de xénophilie associée à une certaine crainte du prochain. Cela doit être ça. Enfin bon, cette balade était très bien, je renouvellerai l'expérience. Quant à mes morts, ils vont bien, ils n'ont pas bougé.

27 avril 2023.- Ciel à demi nuageux, hausse des températures (20°C). Je ne proteste plus, râler m'empêchait de respirer, j'ai retrouvé le souffle et je me balance sans effort et je marche et je flâne, je rôde et je cours et surtout je perds mon temps.

À ma droite, un couple de perruches, ma voisine s'est trouvé un compagnon.

Paris-Berry de Frédéric Berthet. Gueule de fond de tiroir. Cependant, des moments.

Rouvert au hasard Les Enfants Tanner de Walser. Toujours admirable.

28 avril 2023.- Quelque chose de tiède (23°C). Lever à 5h40, labeur, sieste… Réveillé par la tondeuse du voisin. Détour par les Cahiers de Cioran. Le bougre peut lire les Journaux d'écrivains, ces fragments où il y a de la vie, mais de moins en moins les maximes et les pensées, ces « formules oraculaires » qui signifient tout et rien… « Quand je songe que j'en ai écrit moi-même, je suis pris de dégoût ! Oublions ! »

Rien de plus, je suis fatigué.

29 avril 2023.- Pluie tiède (20°C). Repas familial. Entamé Un jeune homme bien élevé de Jean-Jacques Brochier. Rien d'autre.

30 avril 2023.- Quelques belles éclaircies (20°C). Vie sociale, peu de place pour la lecture. Néanmoins, une quarantaine de pages de Brochier. Le dépréciateur en chef d'Albert Camus raconte ses jeunes années et ça ressemble à du Modiano bougon.

1er mai 2023.- Averses et vent aigrelet, le soleil sera venu sur le tard (18°C). Dans son vrai faux roman, Brochier raconte son passage par l'activité clandestine, les valises qu'il portait dans les temps que l'on sait, son arrestation, son emprisonnement et l'âge adulte qui vient. Rien de foudroyant dans ce récit dont on connaît certaines clés mais rien de problématique non plus. Brochier fait preuve d’un certain ton à demi détaché et un peu ironique qui n'est jamais vraiment désagréable. Bref, ce n’est pas si mal que ça.

2 mai 2023.- Journée venteuse et ensoleillée (18°C). Morne labeur, enthousiasme modéré. Seule chose à retenir, le mot juponnard. Une invention de l'ami Léautaud que l'on retrouve dans son fameux Journal et que l'on retrouve aussi dans ses tout aussi fameux entretiens avec Robert Mallet (que je relis avec une parcimonie gourmande).

Juponnard adj. péjor. ÉROT. « qui court les femmes » - TLF, cit. Léautaud, 1906. *1925 - «[…] il /Valéry/ est devenu très juponnard.» Léautaud, Journ. Littéraire.

3 mai 2023.- Journée parfaitement printanière (20°C). Conditions lectorales toujours déplorables. Les chantiers divers et variés semblent s'agglomérer autour de ma chaise de jardin. Qu'ai-je fait pour mériter un tel châtiment ? Malgré tout, picoré dans les Cahiers de Cioran (dans lesquels je m'éternise plus que de raison). Pour l'ami Emil, l'Ulysse de Joyce est un tissu de potins, la somme du déconnage, les divagations d'une concierge universelle. C'est bien vu, je pense à peu près la même chose. Nouvelles acquisitions : Adieu et Lettres de la petite ferme de Kléber Haedens (une autobiographie romancée et un recueil de chroniques), Le Nageur de Pierre Assouline (un roman biographique).

4 mai 2023.- Quasi tiédeur (26°C). Offensive estivale à brûle-pourpoint. On recherche l'ombre en se disant que tout cela est peut-être un peu trop précoce.

Le Nageur de Pierre Assouline. Avec une telle histoire, un tel matériel romanesque, difficile de rater son affaire. Assouline ne la rate donc pas vraiment. Mieux, son livre est presque bon, réellement passionnant, informé comme il le faut et ne s'égarant jamais dans les afféteries littéraires qui n'auraient pas leur place ici. (Le livre raconte l'histoire d'Alfred Nakache nageur juif déporté, son ascension, sa technique avant-gardiste, sa rivalité avec Jacques Cartonnet, son double maléfique.)

5 mai 2023.- Tiédeur humide et morose (24°C). Petite forme, rien pour moi. Paris-Berry de Frédéric Berthet. Pas grand-chose, mais charmant. Désinvolte, certainement. Mieux, le style est là, c'est important. Encore dans les Cahiers de Cioran, il perd sa mère, sa sœur, une dévastation distanciée. Les malheurs qui se répètent portent à l'insensibilité. Fini par le Journal de Renard, l'odeur de l'encre fait mourir ses rêves, lui donne de petits épanchements de cœur…

6 mai 2023.- Beau temps chaud (26°C). Avant-hier je me félicitais du fait que Pierre Assouline ne versait pas dans la surcharge littéraire. Aujourd'hui je ne suis plus vraiment du même avis, je pense même que cet avis pourrait être une erreur. Son roman est trop sage, trop au ras du factuel et du journalisme. Il ne fait rien de Jacques Cartonnet qui n'est finalement qu'une ombre antipathique. Alors si l'histoire d'Alfred Nakache est indubitablement exemplaire, on se dit sournoisement qu'Assouline se trompe un peu de roman, qu'il aurait dû se pencher un peu plus du côté du maléfique et moins de la béatitude. Qu'il aurait dû écrire un livre sur Jacques Cartonnet, le salopard de toute cette histoire.

Mort de Philippe Sollers, comme si c'était possible ! Je l'aimais assez, j'aime assez les margoulins. J'aime Stendhal, Godard ou Debord qui en dehors de la diversité étaient eux aussi de sacrés margoulins. Les autodidactes sont souvent attirés par ce type de caractères pleins de vernis, d'esbroufe et de bricolage… et je suis autodidacte et Sollers était plein d'esbroufe… Il était aussi plein d'ironie, de distance avec ce « lui-même » qu'il portait certainement trop haut tout en n'étant jamais vraiment dupe de ce qu’il faisait. Il aura construit de multiples ponts entre la grande génération de l'entre-deux-guerres et les supposées modernités, ses romans ne valaient pas un clou, ses écrits critiques frôlaient parfois le merveilleux, c'était un passeur épatant, ses derniers livres où l'autobiographie pointait sous le drapé étaient très beaux et pleins d'une nouvelle sincérité, une sincérité de vieux, une sincérité old age. Il manquera beaucoup.

Entamé L'épreuve de Gilbert Pinfold d'Evelyn Waugh, un livre où l'autobiographie se cache sous la cape du roman.

7 mai 2023.- Il pleut (17°C). Un romancier entre deux âges prend des somnifères et boit plus que de raison. De surcroît, son existence est troublée par des inconnus. Il décide donc de fuir tout ça en faisant un grand voyage sur un paquebot de croisière. Mal lui en prend, en pleine mer il est harponné par des hallucinations de plus en plus singulières. Voilà l'intrigue de l'Épreuve de Gilbert Pinfold, un court roman où Evelyn Waugh ne cache pas l'autobiographie et ses divers problèmes de ciboulot. J'aime beaucoup Waugh, mais là ça ne prend pas. Je passe complètement à côté de cette histoire ne parvenant pas à trouver ne serait-ce qu'un infime point de contact avec elle. J'ai cru discerner quelques pointes de loufoquerie, mais pour l'essentiel le côté drolatique m'échappe totalement. Mes antennes du jour ne devaient pas être en phase. (Autre éventualité, c'est mal traduit.)

8 mai 2023.- Ciel couvert (21°C). Au-delà de l'ennui, le roman de Waugh n'a rien de vraiment comique. Il est surtout terrifiant… Terrifiant comme l'aveu d'un type qui ne va pas très bien. Commencé l'Apollinaire de Pia dans la merveilleuse collection Écrivains de toujours. Quelques activités de nature horticole. D'autre part, je me prépare pour un examen médical saumâtre.

9 mai 2023.- Pluie (16°C).


Joie des blocs opératoires
Paradis des salles de réveil

Apollinaire par Pia. Exemplaire, le didactisme comme il faut.

Sollers est toujours mort. Il manque déjà.

11 mai 2023.- Averses et vent aigrelet, rien de printanier (15°C). Pour l'ami Paul (Valéry), écrire purement en français, c’était un soin et un amusement qui récompensaient quelque peu son ennui d’écrire. Quant à la syntaxe, il la voyait comme une faculté de l'âme : « La syntaxe est un système d’habitudes à prendre qu’il est bon de raviver quelquefois et de rajuster en pleine conscience. En ces matières, comme en toutes, il faut se soumettre aux règles du jeu, mais les prendre pour ce qu’elles sont, ne point y attacher une autorité excessive. Ne point tirer vanité de se rappeler une quantité d’exceptions. Ne point oublier qu’au temps des plus grands écrivains, les libertés étaient aussi bien plus grandes. Leur langue était plus complexe, mieux construite, plus “organisée” que la nôtre ; mais je confesse qu’ils étaient assez divisés sur la concordance des temps, incertains quant aux accords, inconstants et parfois surprenants dans leur manière d’accommoder les participes. »

12 mai 2023.- Orages (15°C). Je ne travaille plus que trois jours par semaine, mais c'est toujours trop. Sinon… Maurice Martin du Gard, petit cousin de l'autre Martin du Gard, était une drôle de canaille qui, en bon révolutionnaire nationaliste, s'est frotté un peu trop aux mollets du Maréchal pendant l'occupation que l'on sait. Voilà pour le côté pas terrible et non sautillant. Du côté du terrible et du sautillant, le même Maurice Martin du Gard aura écrit Les Mémorables, une somme incontournable, un allègre pavé où il se faisait le fin mémorialiste du milieu littéraire de son temps. Pour Bernard Frank, ces plus de mille pages avaient quelque chose d'un dictionnaire des écrivains de l'entre-deux-guerres, mais un dictionnaire incomparable « animé, vivant, en cinémascope ». Pour François Nourissier, qui ne faisait pas que bourrer sa pipe tout en caressant un épagneul mouillé, le plus jeune et moins fréquentable des Martin du Gard était un « Saint-Simon miniature ». Tout étant dans tout et les choses étant bien faites, j'ai acquis les replets Mémorables en question chez un bouquiniste un peu torve. Pour l'instant, je n'ai picoré que quelques pages, elles m'ont semblé très bien, pas trop au raz de l'anecdote tout en distillant un art du portrait pas vraiment valétudinaire. J'imagine que cette lecture ne sera pas décevante.

13 mai 2023.- Temps maussade, printemps raté (16°C). Toujours un peu dans l’Apollinaire de Pia. Didactisme à l'ancienne, très bien. Parallèlement, je commence la lecture de La Cité des rêves, deuxième épisode de la nouvelle trilogie fomentée par Don Winslow. Pour résumer à gros traits : les petites histoires d'Homère, Virgile, Eschyle et Shakespeare transportées à la fin des années 80 entre mafieux de tous poils (Irlandais, Italiens, Mexicains) et officines états-uniennes en trois lettres. Très feuilletonnant dans le bon sens. Reste à savoir si c'est vraiment de la littérature ou une sorte de synopsis netflixien très réussi. En tous cas, il y a de ça.

14 mai 2023.- Éclaircies tardives (17°C). Le soleil se faufile entre deux nuages et vient réchauffer mon auguste front qui n'en demandait pas tant. Ma chaise de jardin est toujours confortable et je poursuis sans réelle anicroche mon petit chemin dans la grande affaire de Don Winslow. Il y est un peu question de Hollywood et de ses quelques rapports avec le crime organisé, de Las Vegas et de San Diego (qui m'intrigue assez cf Ken Numm). Rien à redire, tout cela est parfaitement ficelé, les personnages malgré les clichés ont quelque chose de finalement épais et Winslow est très maître de ses rouages

15 mai 2023.- Deux, trois belles soleillées, mais une journée essentiellement chapeautée par une lourde troupe de nuages (19°C). Un chantier à droite, un autre à gauche, un derrière moi, un devant moi, des bétonneuses, des ponceuses, des tondeuses, tout un enfer bruyant et machiniste. De surcroît, les incessants va-et-vient du voisinage. (Comment expliquer le fait qu'un individu normalement constitué puisse ouvrir et fermer la même porte plus de soixante fois en une matinée ?) Aujourd'hui les conditions lectorales furent donc déplorables, voire impossibles. Cependant et malgré tout, je suis un vaillant petit soldat et j'ai tout de même fini La Cité des rêves. Winslow tire le fil de son intrigue et se faisant il la découd en même temps. Nous voilà donc devant des aberrations narratives, des personnages qui débarrassent trop commodément le plancher pour mieux boucler une intrigue qui n'avance plus. Il y a de la facilité dans tout ça, quelque chose qui n'est pas trop travaillé, pour tout dire quelque chose qui n'est pas trop peaufiné, alors que le peaufiné est censé être l'une des principales qualités de Winslow. (Voilà un type d'ouvrage où il ne serait être question de critiquer un style ou une pensée, non ici il n'y a qu'une histoire ou alors un scénario, seule l'efficacité mérite d'être critiquée.) Lu la préface des Mémorables par François Nourissier (toujours très pipe/chien humide). Elle est assez chouette et très éclairante… Un constat : le vichysme supposé de Maurice Martin du Gard est tout juste chuchoté… Par courtoisie ? D'autre part et pour finir, je suis encore dans l'Apollinaire de Pia. Le volume sent un peu la noisette. La prose à l'intérieur un peu aussi, mais pas trop. Juste ce qu'il faut

16 mai 2023.- Météo abominable, pour un peu, on se croirait à Reykjavik ou Dunfermline. (Ne pas confondre Dumbarton, ville de naissance de David Byrne, et Dunfermline où il y a une grosse cathédrale entourée de ruines et une très longue rue principale avec une horloge plantée au milieu.) (14°C). On soulève Clemenceau sur des épaules inconnues, son visage est couvert de larmes, en dessous d'une marée humaine ses jambes ballottent, nous sommes le 11 novembre 1918. Un peu plus tard Georges Mandel fomente quelques fourberies, il porte de petites bottines et son visage n'est pas couvert de larmes, mais d'acné. Francis de Miomandre se fiche de tout ça, il fait tenir son monocle avec du ruban adhésif. Me voilà bien plongé dans Les Mémorables de Maurice Martin du Gard (que dorénavant je nommerais en utilisant l'acronyme MMG, ce qui est plus simple, il faut bien le dire).

18 mai 2023.- Averses (14°C) (Chambre Verte) La pluie tombe et le vent est aigrelet. Ce printemps maussade vire à l'automne au mordoré et au problématique. Ce 18 mai, jour d’Ascension, ressemble à un jour de Toussaint. Alors, on célébrera Ian Curtis sans entrain sans vrai espoir de renaissance vernale et avec un petit goût pataud qui remonte depuis l'épigastre. Que reste-t-il de Ian Curtis ? Un modeste tas d'os qui disparaît six pieds sous terre. Le souvenir d'une vie sabotée au profit d'un supposé mythe, celui du christ post-punk sacrifié sur l'autel des années 80 (du siècle dernier). Évidemment, tout est bien plus simple et compliqué à la fois. Les intermittences du cœur, l'emprise amoureuse, les violences que l'on se fait à soi-même, les petits matins blêmes et la corde à linge autour du cou… Tout cela et rien pour finir assis à la droite de Dieu. La mort est une chose idiote (remarquez la vie, aussi), la mort que l'on se donne c'est de l'idiotie au carré (on à l'air malin). Alors, on se contentera d'écouter la seconde face de Closer, elle est toujours très bien. Et puis on espérera les soleillées, elles viendront, c'est certain… (Après-midi) Jardinage, taille des haies, rempotage divers et variés.

19 mai 2023.- L'humidité ne démord pas (19°C). J'entame Amazonia le septième tome du projet Abracadabra. Rappelons la nature de ce toutim fomenté par Patrick Deville. Ni plus ni moins que l'histoire du monde depuis 1860. Pour ce faire deux tours du globe, le premier d'ouest en est, le second d'est en ouest. Deux tours du globe, des pays traversés, de l'histoire, de la géographie, du personnel et de l'intime qui flotte. Dans Amazonia, on passe de l’Atlantique au Pacifique en remontant l’Amazone ; on traverse le Brésil (Belém, Santarem, Manaus), le Pérou (Iquitos, Guayaquil), le Venezuela, la Bolivie pour finir mieux aux Galapagos ; on croise Carlos Fermín Fitzcarrald, Lope de Aguirre ou Werner Herzog… Pour l'intime et le personnel, Deville est accompagné par son fils, ce qui nous donne à lire quelques pages émues sur les questions de filiation et de transmission. Je n'ai lu qu'un tiers de tout ça. Pour l'instant, je ne suis pas vraiment déçu. 

À l'alternat chez MMG, Fort et Valéry, l'assassinat de Jaurès, pages parfaitement senties.

20 mai 2023.- Il pleut, encore, toujours. Fichu anticyclone ! (19°C). Maussade comme le temps. Des tracas domestiques, un problème d'ordinateur, la vaisselle à faire, ce genre de désagréments… Amazonia, Deville… Rêverie historique, rêverie géographique… Histoire des conquêtes, du colonialisme et des autochtones tués au débotté. Histoires de filiation… Et puis Klaus Kinski essoufflé au début de Fitzcarraldo, son costume blanc et ses mains ensanglantées… Cendrars descendant l'Amazone, voguant sur le plus ancien fleuve du globe, « la matrice du monde, le paradis de la vie terrestre, le sanctuaire de la nature ». On dira que Patrick Deville est très intéressant et mieux que la pluie qui tombe, là, derrière les rideaux. Dans Libé(ration) Michel Crépu bâtit un petit autel à Phillipe Sollers. : « … ces cavernes secrètes où il (Sollers) déposait ses trésors tel l’adolescent qui ne veut pas être dérangé. » Mort d’Ari Boulogne, fils de la gutturale Nico et de qui vous savez. Belle ombre fantomale…

21 mai 2023.- Ciel couvert, hausse des températures, une éclaircie tardive (21°C). Quelques effluves de marijuana me montent dans les narines. J'en déduis que l'un de mes satanés voisins doit être adepte des toxicomanies légères. Moins léger, plus toqué l'Amazonia de Patrick Deville. Des histoires de père et de fils. Raymond et Edgard Maufrais. Le premier, le fils, aventurier à l'ancienne, explorateur prétendu, veut traverser l'Amazonie de la Guyane au Brésil. Il part avec son chien, entame sa petite aventure sans provisions, emprunte des pirogues, pense chasser et pécher ce qu'il trouvera sous la main. Évidemment, les bestioles ne se laissent pas attraper aussi facilement que ça et son voyage n'est qu'une longue agonie tourmentée par la faim. Il tue son chien, le dépèce et le mange, note tout ce qu'il fait dans un vague journal, puis disparaît corps et bien. Un chef indien retrouvera son sac et son journal. Edgar le père part à sa recherche, pas loin de vingt expéditions. Le fils reste introuvable, peut-être a-t-il été dévoré par quelque bestiole ? Un livre est publié puis le père rentre mourir chez lui. Plus ancien, plus toqué encore, Aguirre et ses excès. Conquistador fou qui finira découpé en petits morceaux bien symétriques. Une main par ci, une autre par là, la tête placée sur un pilori dans une cage en fer. Comme tout ce boucle dans le bouquin de Deville voilà Werner Herzog, assez toqué lui aussi. Les tournages d'Aguirre et de Fitzcarraldo… Kinski et Mick Jagger, la violence, la mort… Le tout en milieu très humide et très chaud.

23 mai 2023.- Couverture nuageuse prononcée. Toujours rien de printanier (18°C). Tragédies matinales : la biscotte qui se casse, le pot de confiture qui ne s'ouvre pas, le sachet de thé percé. Après-midi moins périlleux, jardinage, rempotage. Presque fini l'Amazonia de Deville. L'Amazonie en dehors du Brésil : la Bolivie, le Pérou, l'Équateur, la Colombie et le Venezuela. Santarém, Manaus, et Iquitos… Humboldt, Cendrars et Michaux… Les questions de filiation. Le patchwork est bien cousu.


To be continued.

 

jeudi 1 février 2024

Psychogeographie indoor (134)

 



« Tenir un journal, c’est prendre des habitudes de concierge, remarquer des riens, s’y arrêter, donner aussi trop d’importance à ce qui vous arrive, négliger l’essentiel, devenir écrivain dans le pire sens du mot » (Emil Cioran - Cahiers)


25 mars 2023.- Humidité latente (16°C). Le voisin d'en face a vendu. 650 000 euros, c'est beaucoup. Les remplaçants, des boboisants en vélo et trottinette électrique, sont déjà là, dans la place (la gentrification n'est pas tout le temps une guerre d'usure, elle prend parfois la forme d'un blitz). Les bougres n'ont pas perdu de temps pour entreprendre des travaux de grande envergure. Résultat un bruit pharaonesque toute la journée, une atteinte à mes plus élémentaires droits lectoraux…


N’empêche, j'ai lu. Bret Easton Ellis et Jean Cau…


Qu'est-ce qu’un écrivain ? Qu'est-ce que le roman ? À ces deux questions que je me pose à moi-même et dont tout le monde se fiche à peu près, j'ai envie de répondre : potentiellement Bret Easton Ellis et sa nouvelle affaire : Les Éclats. En tous les cas, l'entame est très belle. Intime et extime, faussement autobiographique tout en se permettant d'entrer en collision avec une fiction qui fait semblant de ne pas en être une. Il y a des pages formidables, une première de Shining où B.E.E se découvre vraiment homosexuel (à chacun ses piliers). Quelque chose du temps retrouvé peut être même quelque chose de Proust. Un Proust chloré bronzé de la fracture 70/80, un Proust où la fameuse madeleine mémorielle serait remplacée par le couple cocaïne Xanax — l'une pour la montée, l'autre pour la descente — un Proust où Duran Duran se substituerait à la petite phrase de Vinteuil…


Jean Cau, Croquis de mémoire. Belle mémoire, plaisir d'écriture, plaisir de lecture. C’est coruscant en tout sens, c'est très bon. Mitterrand est un fringuant chasseur de danseuses qui s'est transformé en Nosferatu auguste et sombre. Pompidou manque d’un brin de déliquescence et de hauteur désabusée. Giscard est impeccablement propre « de mains, d’ongles, de chemise, de crâne, d’oreilles, de barbe et de tout… »


26 mars 2023.- Temps maussade (14°C). L'heure d'été. On nous vole une heure de vie pour nous la rendre toute chiffonnée six mois plus tard, ce n'est pas très fair-play. Par ailleurs toujours avec B.E.E. Time capsule, belle playlist, un peu d'ennui, mais de formidables éclats ; c'est dans le titre. Du côté de chez Cau, extraordinaire portrait de Charles de Gaulle, un hippopotame, un énorme poisson, une baleine, un fabuleux saurien, un animal — unique — échappé d'un cirque mystérieux.


27 mars 2023.- Crachin glacé, un temps de Toussaint, le printemps attendra (6°C). J'ai peu ou prou le même âge que Bret Easton Ellis et ce qu'il écrit me parle donc assez. Peut être pas l'homoérotisme un peu fatiguant, mais le reste, certainement, beaucoup… Le début des années 80, la fin de l'adolescence, une sorte de molle déréliction, j'ai vécu la même chose à la même époque… J'ai aussi écouté les mêmes musiques, vu les mêmes films, bu les mêmes breuvages, fumé la même chose, tourné autour de quelques substances psychotropes illicites (en quantité bien moindre), mon jugement est donc biaisé, un peu floué par une certaine nostalgie.. Reste que Les Éclats me semble un livre tout ce qu'il y a de bien (j'ai lu 280 pages). Reste aussi que B.E.E croit encore au roman, ce grand fourre-tout où l'on peut jeter un maximum de choses. Ici une datation au carbone 14 de la brisure 70/80 en Californie du Sud, avec ses serial killers errant en bord de highways, ses collégiens propres et déjantés, ses drogues à foison, sa musique mêlant invasion brit pop et peaufiné javellisé à goût local. Mais aussi du cul bi, mais surtout très homo, une dissection autofictive de ce que fut B.E.E à cette époque, une lucidité amère sur le sable imbibé de l'adolescence qui tourne au ciment de l'âge adulte. Il peut y avoir tout cela dans un roman.

Otherwise still with Cau. Toujours très bon. (Sur Boris Vian et l'escroquerie de Saint-Germain-des-Prés, sur Cocteau, sur d'autres…)


28 mars 2023.- Ciel enfin dégagé (12°C). Conditions lectorales acceptables. Soleil raisonnable, chaise â demi confortable. Je suis tout juste dérangé par les abeilles qui ont envahi mon hôtel à insectes (l’aubergiste est trahie par ses murs), tandis que plus haut quelques oiseaux chantent.

L'affaire de B.E.E me semble assez mal traduite, ou alors est elle tout simplement mal écrite ? Elle est également trop longue, il y a de nombreux passages qui auraient certainement mérité un petit élagage. Bizarrement je m'en fiche, je l'aime tout de même cette affaire. Certainement pour les raisons que j'ai évoquées il y a deux trois jours, une certaine concomitance générationnelle ; ensuite parce que B.E.E croit vraiment à l'histoire qu'il raconte. Bon il n'est pas totalement dupe devant ce vieux truc dixneuviemmiste qu'est le roman, mais il avance dans son intrigue en gardant avec lui un certain pourcentage de naïveté qui lui permet d'éviter second degré et cynisme, ces deux plaies des romanciers conscients. Après que cela soit bien écrit ou pas… dans la mesure où l'intrigue avance…

Mieux écrits, les portraits de Cau. Parfois terribles sur le fond.

Je fais mes valises, demain départ pour Avignon.


29 mars 2023.- Soleil non parcimonieux (2023). Avignon. Très agréable Rocher des Doms, beau surplomb sur le Rhône avec le fameux pont et plus loin le Lubéron. Frôlé le Palais des Papes sans y entrer. Chez un bouquiniste par trop torve acquis l'Apollinaire de Pia dans la collection Écrivains de toujours.


30 mars 2023.- Ciel se dégageant (20°C). Avignon. Je n'ai pas dansé sur le fameux pont, j'y ai plutôt promené mon Q. Visite du Palais des Papes, cette chose est très grande et devait être très problématique à chauffer. En sortant le Musée du Petit Palais. Un peu décati, mais deux, trois Botticelli.


3 avril 2023.- Des nuages, un coup de vent, deux heures vaguement ensoleillées, le retour des nuages, une certaine froideur (10°C). Retour d'Avignon où je n'ai pas fait que baguenauder sur le fameux pont. J'ai aussi vu de l'intérieur le vieux palais que vous savez, effectué de nombreuses séances de Psychogeographie (une grande partie de la ville historique n'est pas encore rénovée et distille un petit charme pas encore totalement gentrifié ; par exemple la rue des Teinturiers) et visité un nombre assez conséquent de Musées. Celui d'Histoire naturelle est le plus amusant dans le sens du décati, il est rempli de bestioles empaillées et les agents municipaux qui y « travaillent » semblent empaillés eux aussi. Celui d'Art moderne (la collection Lambert) batifole moins dans le désuet et il est relativement intéressant. Deux trois Basquiat, Anselm Kiefer et Cy Twombly mais un peu trop de place laissée au minimalisme et aux installations (une sorte de chambre à air flottait dans l'air, on se demande bien pourquoi). Les médiatrices qui ne sont pas empaillées sont collantes et, bien que parfois charmantes, récitent leur mantra moderniste presque à l'unisson…

Repris la lecture des Éclats sous les nuages. Je n'aime pas laisser un livre de côté plus de quatre ou cinq jours. Généralement je suis déçu en le reprenant, le rythme et la coalescence ne sont plus là, il faut me réacclimater. Pas cette fois-ci. Je trouve même la salade composée par B.E.E encore meilleure. Flottant dans une douce inquiétude pleine de langueur… Surtout c'est un vrai roman, un roman-roman, comme si c'était encore possible.


4 avril 2023.- Beau temps frais (10°C). J'écris ses lignes faiblardes en extérieur allongé face au soleil et en utilisant mon téléphone qui se révèle être un support comme un autre. Je ne sais si Les Éclats est un « grand livre », en tous les cas je l'ai beaucoup aimé. Sa douceur valiumisée, ses piscines Hockney, ses grandes villas laissées entre les mains d'adolescents par encore perdus, mais qui sont sur la bonne voie, ses longues fêtes qui résonnent comme du Verdurin doré sur tranche californienne, son érotisme jamais vraiment patibulaire, sa bande-son, ses couleurs… J'ai trouvé tout ça épatant. Pour rester dans l'épatant la dernière partie où le roman de formation rejoint le roman de terreur me semble ce qu'il y a de plus réussi. Il y a de l'habilité, un certain savoir-faire qui concède à l'efficacité narrative, mais la façon n'est jamais sournoise, jamais vraiment popote. Au-delà de tout ça, c'est surtout un très beau livre sur la fin de l'adolescence, sur ce vertige engendré par la perte de l'innocence, sur le fait que l'on ne soit pas vraiment certain de gagner quoique ce soit au change en devenant adulte. J'écris des banalités, mais parfois ce sont les banalités qui ont raison.


5 avril 2023.- Ciel bleu pâle, fond de l'air encore un peu froid (14°C). Lever 5h45, labeur, sieste… Quatre pages de l'affreux Cau. Le docteur Lacan en prend pour son grade, c'est très amusant. Trois pages du Journal de Renard : « Il faut feuilleter les mauvais livres, éplucher les bons ». Pensé à Thomas Bernhard, plus feuilleteur qu'éplucheur : « Je n'ai jamais lu un livre jusqu'au bout, ma façon de lire est celle d'un feuilleteur supérieurement doué, c'est-à-dire d'un homme qui préfère feuilleter plutôt que lire, qui feuillette donc des douzaines, parfois même des centaines de pages avant d'en lire une seule ; mais quand cet homme lit une page, alors il la lit plus à fond qu'aucun autre et avec la plus grande passion de lire qu'on puisse imaginer. »


6 avril 2023.- Éclaircies (14°C). Labeur, longue sieste, appétence légumineuse. Onzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Casseurs contre-productifs, ce sont les meilleurs alliés d'Emmanuel Macron.


7 avril 2023.- Éclaircies (14°C). Assez terrassé par le labeur. De retour dans mon petit intérieur, sieste passée, je feuillette Derrière les lignes ennemies, un spicilège compilant quelques interviews de l'ami Jean-Patrick Manchette. Tout étant une nouvelle fois dans tout il y est question du labeur et de ses aspects indubitablement terrassant. Quand on demande à l'ami Manchette quel est, pour lui, le comble de la misère ? En bon situ qui se respecte encore un peu il répond : « Le travail généralisé, dans la soumission à l’économie. » Rien à redire, je suis sur cette ligne-là, très capable moi aussi de défendre la valeur non travail avec une molle obstination. Sinon par ailleurs j'ai volé numériquement le dernier opus de Frederic Beigbeder (je n'allais quand même pas l'acheter). Le basque rebondissant parle de son addiction à la coco, de son hétérosexualité et de son grand âge qui point. Rien de tourneboulant, c'est assez grande presse et bourgeoisement décalé, mais curieusement j'ai envie de défendre le bonhomme.


8 avril 2023.- Ciel magnifiquement dégagé, goût printanier (18°C). Que faut-il pour rendre un homme heureux ? Parmi de nombreuses choses certainement, un bon livre, une chaise confortable et une météo favorable. Je ne sais si j'ai été vraiment heureux aujourd'hui, mais il y a de fortes propensions pour que l'ai été. Ma chaise de jardin était confortable, la météo favorable et le livre que je tenais entre mes petites mains ma semblé indubitablement bon. En fait ce livre c'était le Croquis de mémoires de l'abominable Cau. Que du bonheur… Du bonheur d'écriture, du bonheur de lecture. Un talent pur de portraitiste comme on en rencontre peu au service d'un aréopage bien choisi et foutrement croquignolet. Le teint rose de Giono qui vire au blême par tristesse et par colère, le casque à frange de Junger, la déchéance admirable de Carson Mac Cullers, les pets d'Orson Welles et ses énormes cigares jetés tout allumés sur les tapis de Palaces, Joë Bousquet gisant adossé aux oreillers de son lit tout en n'oubliant pas de faire grésiller une boulette d'opium avec une étonnante dextérité, l'immodestie de Ponge, la bêtise d'Hemingway (je ne souligne pas totalement), la pingrerie de Tzara, Aragon qui aurait « retrouvé les pédales » sur la tard, Barthes tué par une camionnette de blanchisserie, en somme tué par la vierge et l'immaculé… Tout cela est formidable. Plus que formidable le dernier portrait consacré à Sartre. Voilà une sorte de chef-d’œuvre. Cau ne rend pas le futur psalmodieur de Billancourt plus sympathique (quoique), mais il le rend plus drôle, plus grossier, plus accorte, en un mot plus humain que l'on n'aurait jamais pu le penser :


« - Heidegger ? Il a l'air d'un colonel à la retraite. C'est la Montagne magique, son bled. En bas, les étudiants, plus haut les baraques des profs, plus haut celles des autorités de la Fac et, au sommet, la villa du Vieux. Le Vieux de la montagne c'est exactement ça.

- Il est intact ?

- Pas du tout. Il philosophe pur, n'est-ce pas. il vomit l'engagement. Je lui en ai parlé. Il me regardait avec une infinie pitié. À la fin je parlais à son chapeau. Il a un chapeau vert de chasseur de chamois. Enfin… Grand tra-la-la des Doktors… Mais figurez-vous que quand je suis parti, qu'est-ce que je trouve dans mon compartiment de chemin de fer ? Des bouquets de roses ! Des brassées ! Tout juste s'il ne m'avait pas offert des coussins et des bonbons.

- Des roses ? Et qu'est-ce que vous en avez fait ?

- J'ai attendu que je train démarre et , en catimini, je les ai balancées par la fenêtre. »


9 avril 2023.- Ciel très ensoleillé (18°C). Je reviens à ce salaud de Beigbeder et à son petit livre d'humeur que j'ai mollement évoqué il y a deux ou trois jours. Le type du Figaro y surf tranquillement sur le souvenir de se ses addictions, sur sa supposée hétérobeauferie et sur diverses autres choses qui flottent dans l'air du temps. Rien de vraiment pénétrant aussi bien sur le fond que sur la forme qui est relâchée et pas vraiment travaillée dans le sens de Rodin et de son fameux burin. Cependant, le côté marrant prend parfois le pas sur le côté cossard et il y presque une idée intéressante : les hommes gays sont les seuls qui peuvent encore parler de leur sexualité sans se voir regardés de biais. Reste à savoir pourquoi une aussi insignifiante chose semble titiller les fourches caudines de pas mal de monde (Les Inrocks(uptibles), L'OBS, Télérama…)


J’enchaîne avec un nouveau livre, Cordon-Bleu le premier très mince roman de Patrick Deville qui en 1987 donnait apparemment dans le minimalisme post becketto-echenozien très à la mode de chez Minuit. (Deville changera d'éditeur et de style par la suite). L'exergue du roman attribué à Flaubert est assez rigolote : « j'ai vomi tout mon dîner ». C'est en fait un honteux découpage de la correspondance du même Flaubert « Quand j'écrivais l'empoisonnement de Madame Bovary j'avais si bien le goût de l'arsenic dans la bouche, j'étais si bien empoisonné moi-même que je me suis donné deux indigestions coup sur coup, - deux indigestions réelles, car j'ai vomi tout mon dîner. » (Lettre à Hippolyte Taine, 20 novembre 1866)


10 avril 2023.- Temps doux et nuageux (18°C). Jour de Pâques, un an de plus, je frôle le old age. Effectué quelques menus plantations dans mon semblant de jardin.

(Lectures.) Cordon-Bleu de Deville. Vain et emmerdant. Les limites de l'école Minuit. N'est pas Jean Echenoz qui veut. Deville le comprendra très vite.

Trois poèmes de Louis Brauquier. Rien de lactescent, rien de post-moderne. Nous sommes là dans les ailleurs.


12 avril 2023.- Averses (13°C). Labeur, fatigue, inspiration proche du néant.


13 avril 2023.- Ciel changeant, une certaine fraîcheur (12°C). (Jardinage.) Rempoté quelques œillets, deux ou trois géraniums, d'autres choses végétales de provenance diverse et variée.

(Lectures.) James Salter Tout ce qui n'est pas écrit disparaît. Entretien donné à la Paris Review. Cent petites pages lues en moins de deux heures. Salter parle de sa façon d'écrire, de sa détestation du premier jet, du fait qu'il doive polir ses phrases. Ce faisant il penche du côté du gros Flaubert et certainement pas du côté du style télégraphiste et du laisser-aller stendhalien. (Vous qui lisez ce vague journal écrit à la va-comme-je-te-pousse auront compris de quel côté je penche). Il parle ensuite de ses débuts littéraires de son rapport à la France et de son rapport à ses écrivains. Rien de bien pénétrant, peut-être même un certain manque de finesse. Tout cela reste viril, mais correct. (Bonne traduction de Philippe Garnier, il y a une anecdote croquignolette sur Charlotte Rampling.)

Moins américain, plus blouse grise, entamé Les deux beune la nouvelle petite affaire de Pierre Michon (sa première petite affaire depuis des lustres). Très beau, très fin, un styliste. Néanmoins, je me suis endormi à la page trente-neuf : « Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on les invente ; seules m’emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l’instant d’abominables pensées dans le sang. C’est peu dire que c’était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c’était du lait. »


14 avril 2023.- Pluies éparses (11°C). Je regarde le plafond, qui est bien blanc. Rien d'autre.


15 avril 2023.- Météo abominable, bourrasque et crachin, quasi froideur, un temps de Toussaint (8°C). J'ai laissé tomber le Michon à son mitan. Trop de prose caillée, trop de circonvolutions, trop de mots qui font mine de s'étouffer les uns avec les autres et malgré un semblant d'humour que je dois être le seul à voir, trop d'ennui… Par contre rien d'ennuyeux chez Jean Rolin. Je suis plongé dans son Explosion de la durite et le désœuvrement certain que j’éprouvai en lisant les alinéas michoniens s’est immédiatement transformé. Pour tout vous dire, je respire et c'est comme une libération. Le livre de Rolin raconte comment ce dernier s'est procuré une Audi maladive tout juste en état de rouler et l'a expédiée en Afrique, au Congo, où elle a été transformée en un pétulant taxi capable de subvenir aux moyens de toute une famille. Évidemment au-delà de l'action caritative, du projet raconté, Rolin baguenaude tout en cousant son habituel patchwork avec des bribes et des morceaux. Des bouts de fiction, des bouts de réalité, des bouts d'Histoire… Sa jeunesse passée au Congo, Patrice Lumumba, la toque léopard de Mobutu, les guerres de libération, le bricolage et la déglingue africaine, le récit de voyage, l'amour des cargos des containers et des bestioles, la précision journalistique… Rien à redire, tout cela est épatant (Rolin est souvent épatant).


16 avril 2023.- Pluie (10°C). Maussade comme le temps. Mes mots ne viennent pas, pire ils ne poussent même plus et je suis dans un état de curieuse jachère.


L'Explosion de la durite passe par Verdon où Rolin rencontre l'un de ses amis, un certain Éric. Sans faire de plus grandes recherches que ça on devine assez vite que cet Éric-là ne peut être qu'Éric Holder et tout étant dans tout on se souvient d'une chronique de ce dernier pour Le Matricule des anges (chronique où il racontait sa rencontre avec Rolin chronique reprise dans le beau volume l'Anachronique déjà évoqué ici). Ainsi, chaque écrivain parle de l'autre dans un émouvant champ contre champ et c'est très beau.


17 avril 2023.- Ciel couvert (12°C). (Matin.) Le printemps n'est pas là, la météo est sinistre, l'ennui tend à poindre alors on se gratte l'omoplate en se disant que de toutes les façons on va tous crever. On casse ensuite deux ou trois œufs, on fait une omelette. Il faut savoir faire une omelette. Après avoir mangé son omelette, le soleil n'est toujours pas là, mais on peut lire. Lire par exemple les Mémoires d'Outre-France. Ces souvenirs moins moroses que la météo écrits par Gavin Bowd le traducteur en langue anglaise de Michel Houellebecq. On y baguenaude dans une jeunesse très communiste entre groupuscules marxistes écossais, fête de l'huma et virée dans les pays frères. Le mur que l'on sait tombé on se retrouve ensuite posé entre Kenneth White et Guy Debord, Bowd évoque quelques panouilles écrites pour les Inrocks historiques (qui en prennent pour leur grade), puis c'est sa rencontre avec Houellebecq qu'il ne porte pas aux nues, mais qu'il dépeint avec une belle humanité non dupe n'oubliant pas les aspects pour ainsi dire pathétiques de l'ami Michel, ses dérives idéologiques, ses provocations, mais aussi son amour pour Clément, son chien Korgi, son petit bonhomme… (Après-midi.) Le soleil est sorti à 18 h juste au moment où il était censé tomber sous les toits. Je pense que c'est une provocation… Parmi d'autres choses les Mémoires d'Outre-France offrent une vision assez amusante du milieu intellectuel français de la fin du 20e siècle. Bowd en bon écossais bourru et moqueur sautille sur pas mal de monde et il y a une belle palanquée de phrases qui fourmillent en anecdotes plus croquignolettes les unes que les autres. Un bouquin qui parle tout à la fois d'Eugène Guillevic et de Mark E. Smith ne peut qu’entraîner une certaine sympathie chez le lecteur que je me trouve être.


18 avril 2023.- Le ciel se dégage enfin (18°C). Conditions lectorales quasi impossibles. Une bétonnière devant mon auguste enveloppe corporelle, un marteau piqueur derrière, un vaste chantier à gauche, une vitupérante cohorte de mouflets à droite. Devant un tel chambard une seule solution : se boucher les conduits auditifs avec ce que l'on a sous la main, deux bananes, des boules Quies, de la musique écoutée très, trop, fort au casque. J’ai opté pour la musique et les contre-mesures ont pris la forme de Reel to real cacaphony de Simple Minds et de Entertainment de Gang of Four, deux maîtres étalons de la raideur post punk.


Je suis donc retourné sur le Michon avec tout cela entre les oreilles. Je ne voudrais ni décevoir ni offusquer mon mince lectorat, mais je dois bien dire qu'au bout de quatre pages il m'est tombé des mains ( Jim Kerr montait dans les aiguës). Il faut savoir laisser tomber le Michon… Pas découragé j'ai immédiatement enchaîné avec du surfin en ouvrant le Comme ceci comme cela de l'entité poétique Jean Tardieu. Tout petit, pas mal, un peu élan éthéré (la bétonnière de mes voisins vrombissait). Mon appétence lectorale s'est ensuite orientée vers du plus consistant, du plus replet, du plus pudding, j'ai réentamé Derrière les lignes ennemies un volume qui rassemble une belle quantité d'entretiens donnés par Jean-Patrick Manchette. J'aime beaucoup ce type, l'homme et l'écrivain. L'homme parce qu'il faisait son politique, son engagé avec une élégance jamais assommante (de surcroît, je tamponne la plupart de ses idées), l'écrivain parce qu'il écrivait sèchement ses petits trucs tout en sachant qu'ils n'étaient que des petits trucs. Le bouquin est formidable on pourrait citer de nombreux extraits. Je me contenterais de celui-ci : « Pour Folle à tuer, j’ai travaillé avec Mocky, avant que Boisset soit finalement choisi comme réalisateur. Il n’y a rien à en dire, sinon que Mocky est laid, stupide, et devrait utiliser un déodorant corporel, et se faire les ongles. Quant au casting, l’accord de Marlène Jobert a été utile au financement du film, et elle n’est pas mal. Lonsdale est un plaisir, comme toujours. Le reste est sans intérêt et je m’en fous. »


19 avril 2023.- Beau temps, enfin ! (19°C). Toujours vaguement malade, quant au labeur ne m'en parlez pas ! Le bouquin d'entretiens avec l'ami Manchette est diablement intéressant, souvent drôle et plein de fines analyses sur la contre et para culture. Voilà un type qui savait très bien se juger lui-même ce qui est toujours mieux lorsque l'on se risque à juger les autres.


20 avril 2023.- Averses (14°C). Saisi par la pesanteur je suis de moins en moins aérien. Peut-être alors serais je sauvé par la fluidité ? Après tout, les fleuves, les rivières, les ruisseaux, tout cela ne coule pas dans les airs… Un risque : finir flaque. En dehors de ces considérations liquides, je suis toujours chez l'ami Manchette.


To be continued.